PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE XIROS c. GRÈCE

(Requête no 1033/07)

ARRÊT

STRASBOURG

9 septembre 2010

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 
 

 

En l’affaire Xiros c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Nina Vajić, présidente, 
 Christos Rozakis, 
 Khanlar Hajiyev, 
 Dean Spielmann, 
 Sverre Erik Jebens, 
 Giorgio Malinverni, 
 George Nicolaou, juges, 
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er juillet 2010,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 1033/07) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Savvas Xiros (« le requérant »), a saisi la Cour le 27 décembre 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me I. Kourtovik, avocate au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. K. Georgiadis, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme Z. Hatzipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3.  Le requérant alléguait en particulier une violation de l’article 3 de la Convention en raison de ses conditions de détention à la prison de Korydallos.

4.  Le 8 février 2008, la présidente de la première section a décidé de communiquer le grief tiré de l’article 3 au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1962 et est actuellement incarcéré à la prison de Korydallos.

A.  Les circonstances dans lesquelles le requérant fut blessé

6.  Le 29 juin 2002, le requérant fut grièvement blessé à la suite de l’explosion d’une bombe qu’il tenait entre ses mains, lors des préparatifs d’un attentat. Le jour même, il fut transféré à l’hôpital public « O Evangelismos », où il resta hospitalisé dans l’unité de soins intensifs durant soixante-cinq jours. Il fut constaté, entre autres, que le requérant avait perdu sa main droite lors de l’explosion de la bombe, qu’il présentait des brûlures étendues sur tout le corps et que la force impulsive déclenchée pour l’explosion ainsi que des particules de la bombe avaient atteint ses yeux et causé la perforation de ses tympans. Lors de son hospitalisation, le requérant subit plusieurs opérations chirurgicales et fut soumis à des soins pharmaceutiques intensifs. En particulier, les 1er et 13 juillet 2002, il fut opéré aux deux yeux en raison d’une cataracte traumatique et d’un décollement de la rétine. De plus, le 26 août 2002, il subit une tympanoplastie de l’oreille gauche.

7.  Le 30 août 2002, la direction de l’hôpital « O Evangelismos » certifia que l’acuité visuelle de son œil gauche permettait au requérant de compter les doigts de la main à une distance de cinquante centimètres et que celle de son œil droit s’élevait à 3/10o.

8.  Le 2 septembre 2002, à la fin de l’hospitalisation du requérant, la direction d’« Evangelismos » délivra un certificat attestant qu’il souffrait d’une dégradation importante de son ouïe et de sa vue et qu’il présentait des problèmes neurologiques. En particulier, quant à son état neurologique, le requérant présentait une marche légèrement déséquilibrée, en raison de ses problèmes d’audition et de vision ainsi que de son hospitalisation prolongée. En ce qui concernait son état visuel, il souffrait d’une cataracte traumatique de l’œil gauche, qui nécessitait une intervention chirurgicale dans un délai de trois mois environ après sa sortie de l’hôpital selon l’évolution de son état. En outre, il fut certifié que le requérant ne pouvait voir de l’œil droit qu’avec une baisse de l’acuité visuelle, qui se dégraderait probablement davantage avec l’évolution de la cataracte, qui en était au premier stade. Une ablation chirurgicale du cristallin serait probablement nécessaire pour traiter l’avancement de la cataracte de l’œil droit. Dans le rapport médical, il était recommandé d’effectuer des contrôles ophtalmologiques du requérant tous les dix jours, notamment de sa tension oculaire. Concernant son ouïe, il fut certifié que le requérant souffrait de surdité des deux oreilles, ce qui nécessitait une intervention otologique. Il souffrait aussi d’acouphènes permanents.

B.  Les poursuites pénales contre le requérant

9.  Entre-temps, le 7 août 2002, des poursuites pénales avaient été engagées contre le requérant pour appartenance, notamment, au groupe terroriste « 17 novembre », homicides volontaires, vols à main armée et attentats. Actif pendant vingt-sept ans, le groupe terroriste « 17 novembre » avait revendiqué plusieurs attentats perpétrés en Grèce, dont un certain nombre de meurtres. Le 2 septembre 2002, le requérant fut mis en détention provisoire et transféré, avec les autres membres présumés dudit groupe terroriste, dans une aile spéciale de la prison de Korydallos.

10.  Les 8 et 17 décembre 2003, en vertu des arrêts nos 3244 et 3395/2003 de la cour d’assises d’Athènes, le requérant fut condamné six fois à la réclusion à perpétuité et à vingt-cinq ans de prison ferme pour appartenance au groupe terroriste « 17 novembre » et participation à ses actes criminels. Il ressort du dossier que le requérant interjeta appel contre les arrêts nos 3244 et 3395/2003 en dehors du délai prescrit par la législation interne.

C.  L’évolution de l’état de santé du requérant pendant son incarcération

1.  En ce qui concerne la vue

11.  Le 31 octobre 2002, le médecin auprès du dispensaire de la prison de Korydallos constata l’aggravation de l’état oculaire du requérant et considéra qu’une opération chirurgicale était nécessaire.

12.  Le 30 novembre 2002, le requérant fut transféré à l’Hôpital général d’Athènes, où on l’opéra de la cataracte de l’œil gauche et on lui retira l’huile de silicone, dont la présence à long terme dans l’œil était susceptible d’entraîner des complications graves. De plus, le requérant fut opéré de l’œil droit pour traiter le décollement de la rétine.

13.  Selon un avis délivré le 5 décembre 2002 par l’Hôpital général d’Athènes, l’évolution post-opératoire de la vision était satisfaisante.

14.  Le 21 décembre 2002, le médecin du dispensaire de la prison de Korydallos attesta qu’il était nécessaire de transférer le requérant à l’Hôpital général d’Athènes après avoir diagnostiqué une récidive de décollement de la rétine de l’œil droit.

15.  Le 24 décembre 2002, le requérant fut transféré dans cet établissement et subit une opération chirurgicale pour décollement de la rétine. Le 3 janvier 2003, l’Hôpital délivra un avis médical où il était relevé que l’acuité visuelle de son œil gauche permettait à l’intéressé de compter les doigts de la main à une distance de cinquante centimètres. Selon le même avis, l’état de l’œil gauche nécessitait par la suite une opération chirurgicale.

16.  Le 2 février 2003, le requérant subit à l’Hôpital général d’Athènes une nouvelle opération chirurgicale de kératoplastie, sur son œil gauche. Le 5 février 2003, il fut autorisé à sortir de l’hôpital et fut transféré à la prison de Korydallos.

17.  Le 8 mars 2003, la clinique ophtalmologique de l’Hôpital général d’Athènes délivra un certificat selon lequel la tension oculaire était normale.

18.  Le 15 juin 2004, un avis médical délivré par la clinique ophtalmologique de l’Hôpital général d’Athènes attestait que l’état des yeux du requérant restait inchangé et qu’il n’était pas nécessaire de l’hospitaliser.

19.  Le 24 septembre 2004, le directeur de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital de Penteli examina le requérant et conclut que celui-ci devait être transféré d’urgence à l’Hôpital général d’Athènes pour que les mesures nécessaires soient prises.

20.  Le 18 octobre 2004, le requérant subit une ablation de silicone à l’œil droit.

21.  Les 1er février, 18 mars et 27 juillet 2005, le directeur de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital de Penteli examina le requérant ; il conclut que l’acuité visuelle des deux yeux s’était dégradée et qu’un suivi médical systématique, fréquent et global était nécessaire pour empêcher une dégradation dramatique de la vue de l’intéressé. De plus, le 27 juillet 2005, il conclut qu’il fallait procéder à un examen électro-physiologique de la vision du requérant pour évaluer la dégradation de celle-ci.

22.  Le 3 octobre 2005, le directeur de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital de Penteli rendit un avis médical ; il relevait qu’aucun des examens médicaux sollicités n’avait eu lieu. Il considéra aussi que la vision du requérant s’était dégradée et que ses conditions de détention risquaient d’entraîner la perte de sa vue, déjà infime.

23.  Le 28 décembre 2005, le requérant fut soumis à des examens ophtalmologiques déjà programmés à l’Hôpital général d’Athènes et l’état de sa vue fut jugé stable.

24.  Le 8 mars 2006, le directeur de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital de Penteli considéra que le suivi médical du requérant au sein d’un centre ophtalmologique spécialisé était une condition nécessaire pour préserver un tant soit peu sa vue. De plus, un rapport médical non daté, délivré par le directeur de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital de Penteli, releva que les chances de maintenir l’acuité visuelle du requérant étaient minces alors même que celle-ci ne permettait pas à l’intéressé de satisfaire ses besoins personnels, d’autant plus en détention. Le même rapport médical concluait que l’élargissement du requérant était le seul espoir pour empêcher qu’il ne devienne aveugle et pour garantir son accès immédiat à un centre médical spécialisé et à un suivi médical adéquat et continu.

25.  Le 23 juin 2006, le requérant fut soumis à des examens ophtalmologiques déjà programmés à l’Hôpital général d’Athènes et l’état de sa vue fut jugé stable.

26.  Le 5 août 2006, selon un avis émis par le directeur de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital général de Nikaia, la vision de l’œil gauche du requérant était inférieure à 1/20o et celle de l’œil droit se situait entre 1/10o et 1/20o. Dès lors, la présence d’un accompagnateur fut jugée nécessaire lors du séjour du requérant à l’hôpital.

27.  Les 20 décembre 2006 et 11 juillet 2007, le requérant fut soumis à des examens ophtalmologiques déjà programmés à l’Hôpital général d’Athènes et l’état de sa vue fut jugé stable.

28.  Selon un certificat médical dressé le 5 juin 2008, par le médecin pathologiste G.M. qui avait examiné le requérant en prison, la vision de l’intéressé s’était nettement dégradée, surtout celle de l’œil gauche. L’œil droit présentait une acuité visuelle inférieure à 1/10o.

29.  Le 10 juin 2008, un certificat médical délivré par le dispensaire de la prison de Korydallos établit que l’acuité visuelle du requérant restait stable et que son transfert à l’hôpital n’était pas nécessaire.

2.  En ce qui concerne l’ouïe

30.  Du 26 janvier au 11 avril 2003, le requérant souffrit d’une otite moyenne aiguë qui fut traitée par l’administration d’antibiotiques.

31.  Le 21 juin 2004, le médecin E.H., professeur d’otorhinolaryngologie, examina le requérant sur la demande de celui-ci, et constata une perforation centrale du tympan de l’oreille droite et une déchirure mineure du tympan de l’oreille gauche. Il constata aussi que le requérant présentait une instabilité à la marche et une tendance à tourner à gauche. Il conseilla, entre autres, de soumettre l’intéressé à une tomodensitométrie (TDM) du cerveau afin d’exclure une maladie supplémentaire.

32.  Le 26 juin 2004, le médecin E.H. examina de nouveau le requérant et conclut qu’il souffrait d’une perte auditive neurosensorielle aiguë bilatérale et d’une atteinte du labyrinthe provoquant des vertiges. Le rapport dressé par le même médecin indiquait aussi qu’il serait probablement nécessaire de procéder à une tympanoplastie après six mois. Enfin, il notait que le rapport de la TDM n’était pas encore disponible.

33.  Le 23 janvier 2006, le requérant effectua la TDM, dont le bilan ne révéla aucune anomalie.

34.  Le 5 septembre 2006, le requérant subit une tympanoplastie de l’oreille droite. Selon une attestation médicale délivrée le 3 octobre 2006 par l’Hôpital général de Nikaia, l’état auditif de l’oreille droite du requérant s’était amélioré autant que possible.

35.  Selon un certificat médical délivré le 7 novembre 2008 par le dispensaire de la prison de Korydallos, l’ouïe du requérant était satisfaisante et aucune hospitalisation n’était nécessaire.

3.  En ce qui concerne les problèmes kinésiques

36.  Le requérant souffre d’un syndrome pyramidal entraînant des troubles de la motricité, provoqué par une lésion du tractus cérébrospinal.

37.  Le 23 octobre 2003, l’examen neurologique indiqua des troubles locomoteurs. Une imagerie par résonance magnétique (IRM) du cerveau fut conseillée.

38.  Le 16 juin 2004, le médecin thoracologue G.H. indiqua dans un avis médical une diminution du flux sanguin dans l’artère carotide du requérant. Il jugea nécessaire d’effectuer une IRM dans les plus brefs délais.

39.  Le 22 octobre 2004, le requérant fut soumis à un examen neurologique avec IRM, qui ne révéla aucune dégradation de son état neurologique.

40.  Les 14, 18 juillet et 8 août 2005, à la suite d’examens neurologiques, on conseilla au requérant de subir un scanner du cerveau.

41.  Le 9 novembre 2005, un examen d’IRM ne révéla pas d’éléments pathologiques. L’existence d’un angiome veineux encéphalique fut par ailleurs constatée.

42.  Le 12 novembre 2008, le médecin de la prison de Korydallos délivra un avis médical certifiant qu’un nouvel examen IRM du cerveau et de la colonne vertébrale du requérant était programmé.

4.  En ce qui concerne les problèmes respiratoires

43.  Le requérant souffre d’asthme chronique datant de la période antérieure à sa mise en détention. Il est soumis à un traitement pharmaceutique, selon les prescriptions données le 8 juin 2006 par le médecin H.T. Entre-temps, les 28 juin 2003, 9 juin 2004, 10 septembre 2004 et 16 juin 2004, il avait été soumis à des examens médicaux qui n’avaient pas révélé de problèmes respiratoires particuliers.

D.  Les conditions de détention

44.  Le requérant est actuellement incarcéré dans une cellule individuelle d’une surface d’environ 12 m2, qui se trouve dans une section de la prison de Korydallos spécialement aménagée pour accueillir toutes les personnes condamnées pour appartenance à l’organisation terroriste « 17 novembre ». Sa cellule est semi-enterrée et comporte une fenêtre de 60 cm x 60 cm par laquelle est assurée la ventilation. Les toilettes et la douche sont situées au sein même de la cellule. Un mur d’une hauteur d’un mètre dix sépare les toilettes et la douche du reste de la cellule. Celle-ci est aussi équipée d’un chauffage central et, de plus, d’un chauffage halogène.

45.  Pendant la première période d’incarcération et jusqu’au 7 février 2003, date à laquelle l’instruction de l’affaire prit fin, le requérant, à l’instar des autres membres présumés de l’organisation « 17 novembre », fut soumis à un régime spécial de détention. En particulier, il lui fut interdit de communiquer avec les autres détenus en vue de garantir le bon déroulement de l’instruction. Le requérant pouvait se promener dans une cour intérieure, initialement pendant une heure par jour et, par la suite, deux fois par jour par tranches d’une heure et demie. Au cours de l’instruction, les autorités pénitentiaires atténuèrent progressivement les restrictions spéciales imposées. Le temps de promenade en plein air et la périodicité des entrevues avec des proches furent augmentés. Le jour même où l’instruction fut achevée, le procureur-superviseur de la prison de Korydallos soumit le requérant au régime normal de détention.

46.  Pendant les six premiers mois de sa détention et en raison de son état de santé, il fut ordonné que le requérant partage sa cellule avec son frère, également condamné pour appartenance à l’organisation terroriste « 17 novembre ». Ce dernier l’assistait dans l’accomplissement de ses besoins quotidiens. A la fin de cette période, le requérant resta seul dans sa cellule. Il est aujourd’hui assisté au quotidien, le cas échéant, par le personnel de la prison et des codétenus.

47.  La cellule du requérant se trouve près de la cour intérieure dans laquelle les personnes condamnées pour appartenance au groupe terroriste « 17 novembre » peuvent se promener. Selon son régime actuel de détention, il peut avoir accès à la cour intérieure pour une période de huit à neuf heures par jour. Au début de la détention, la cour était entourée de parois métalliques de 10 mètres de hauteur, dont la partie supérieure était surmontée d’un double fil barbelé. Depuis 2004, lesdites parois ont été enlevées. De plus, les lieux de détention ont été repeints et des plantes ont été installées. Enfin, le requérant est autorisé à disposer de matériel de peinture pour pratiquer l’iconographie, son activité professionnelle avant son arrestation.

E.  Les recours exercés par le requérant en vue de la suspension de sa détention

48.  Le 16 mars 2005, le requérant saisit la cour d’appel d’Athènes d’une demande de sursis à exécution de sa peine en raison de la dégradation de son état de santé. Le 5 octobre 2005, son recours fut déclaré irrecevable par ladite juridiction (arrêt no 1724/2005). En particulier, la cour d’appel d’Athènes considéra que le requérant avait interjeté appel contre les arrêts nos 3244 et 3395/2003 hors du délai prescrit par le droit interne. Par conséquent, selon le droit interne, il n’était pas autorisé à demander le sursis à exécution desdits arrêts.

49.  Le 29 mai 2006, le requérant saisit, en vertu de l’article 557 § 2 du code de procédure pénale, le tribunal correctionnel du Pirée d’une demande de suspension de sa détention, afin d’être transféré et hospitalisé dans un centre médical spécialisé dans ses pathologies. En particulier, le requérant sollicitait son hospitalisation soit à la Clinique ophtalmologique de l’Hôpital général d’Athènes soit à l’hôpital « AHEPA » de Thessalonique soit au centre ophtalmologique de Crète. Il demandait aussi au tribunal correctionnel du Pirée de nommer des médecins spécialistes pour se prononcer sur la nécessité de son hospitalisation dans un centre ophtalmologique spécialisé. Le requérant relatait dans sa demande la gravité de son état de santé et le risque de dégradation irréversible de ses pathologies, dans le cas où les conditions de sa détention n’étaient pas adaptées à ses besoins et à son état de santé. Il faisait valoir le risque de cécité et de détérioration importante de son ouïe qu’il encourait, ainsi que le danger d’attaque cérébrale auquel il était confronté. Le requérant soulignait enfin l’infrastructure insuffisante de la prison de Korydallos par rapport à ses besoins, ainsi que l’absence de l’équipement médical requis dans le dispensaire de la prison pour faire face à ses pathologies.

50.  Dans le cadre de la procédure en cause, une expertise fut ordonnée, qui fut présentée le 9 août 2006 au tribunal compétent. Les médecins légistes I.B. et D.T., désignés par le procureur compétent, se fondèrent sur les conclusions tirées de l’examen médical auquel ils soumirent le requérant le 27 juin 2006, ainsi que sur les rapports médicaux antérieurs. En particulier, ils firent référence aux rapports médicaux dressés par le directeur de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital de Penteli qui, après avoir constaté que la vue déjà déplorable du requérant s’était dégradée et que l’état de ses yeux restait tragique, proposait l’élargissement de l’intéressé afin qu’il puisse poursuivre son hospitalisation dans un centre ophtalmologique spécialisé. Les médecins-experts conclurent qu’il était nécessaire d’hospitaliser le requérant dans un centre ophtalmologique spécialisé afin qu’il fasse l’objet d’un suivi médical systématique et continu ; ils recommandaient donc son séjour à l’hôpital pour le temps nécessité par la nature de son traitement. Ils constatèrent que son transfert audit centre pourrait avoir lieu après rendez-vous, selon l’usage.

51.  Le 10 octobre 2006, le tribunal correctionnel du Pirée, après avoir examiné la demande du requérant sous l’angle de l’article 557 §§ 2 et 3 du code de procédure pénale, la rejeta. Le tribunal fit référence à l’expertise médicale soumise par les médecins I.B. et D.T., et nota que, tout au long de son incarcération, le requérant avait été pour l’essentiel hospitalisé au sein de la prison de Korydallos. Pour le tribunal, le requérant avait reçu les visites médicales d’un ophtalmologiste au sein de la prison et il avait pu être transféré, lorsque cela s’était avéré nécessaire, à la clinique ophtalmologique de l’Hôpital général d’Athènes pour y être examiné par le directeur de ladite clinique, l’ophtalmologue M.M. Le tribunal correctionnel constata que le médecin M.M. ne faisait aucune référence, dans les avis médicaux délivrés après examen du requérant, à une éventuelle nécessité d’hospitalisation. Pour la juridiction, les propositions du directeur de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital de Penteli étaient vagues. Le tribunal considéra, en outre, que le but de la suspension de la détention n’était pas de permettre au requérant de vivre en liberté, comme le suggéraient les propositions du directeur de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital de Penteli, mais d’empêcher la dégradation irréversible de son état de santé. Pour le tribunal correctionnel, l’accès du requérant à un hôpital était tout à fait possible en cas d’urgence, par exemple en cas de décollement de la rétine. De plus, il n’aurait pas été raisonnable d’ordonner la suspension de la détention de l’intéressé uniquement dans le but de permettre une intervention immédiate dans l’hypothèse d’une récidive du décollement de la rétine (arrêt no 5345/2006).

II.  LE DROIT ET LES TEXTES INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A.  Le droit interne

52.   Les parties pertinentes de l’article 557 du code de procédure pénale se lisent comme suit :

« 1.  L’exécution d’une peine privative de liberté peut être suspendue dans les cas prévus par les articles 429 § 3 et 556 al. a, b et c, ainsi que par les paragraphes 2 et 7 du présent article.

2.  Dans le cas où le détenu est hospitalisé, comme le prévoient les dispositions pertinentes, et s’il souffre d’une maladie tellement grave que le maintien de son hospitalisation dans tout hôpital ne permet pas d’empêcher la dégradation irréversible de son état de santé ou présente un danger pour sa vie, celui-ci peut, si ladite prévention nécessite son hospitalisation dans un autre établissement spécifiquement mentionné, solliciter son admission dans celui-ci pour poursuivre son traitement à ses propres frais. Le traitement médical à domicile est exclu.

3.  Le tribunal compétent se prononce sur cette demande par une motivation spécifique et circonstanciée. Cette décision est rendue après la production de a) l’avis de deux médecins légistes ou, à défaut, de deux médecins engagés par un établissement public sur la nécessité de transférer le demandeur au centre hospitalier proposé par lui-même, b) l’avis de l’établissement où l’intéressé est hospitalisé et c) l’avis du centre hospitalier vers lequel l’intéressé sollicite son transfert.

4.  Si le tribunal fait droit à la demande du requérant, il ordonne le sursis à exécution de la peine de l’intéressé pour une période maximale de cinq mois. A la demande de l’intéressé et du procureur, soumise avant l’expiration dudit délai, le tribunal peut proroger le sursis à exécution de la peine par périodes de six mois au maximum, dans le cas où cela est nécessaire.

(...)

7.  Dans des cas exceptionnels, le tribunal peut, à la demande du détenu, ordonner son élargissement si le sursis à exécution de la peine ne peut empêcher un dommage irréversible à la santé de l’intéressé ou si son pronostic vital est engagé. Le traitement médical du patient à domicile doit véritablement empêcher la détérioration irréversible de son état de santé.

(...) »

53.  Les dispositions pertinentes du code pénitentiaire (loi no 2776/1999) se lisent ainsi :

Article 7 § 4

« Des restrictions aux conditions de vie, qui seront déterminées par décision de l’instance judiciaire compétente, peuvent être justifiées par des raisons tenant à la sécurité et au bon fonctionnement de l’institution pénitentiaire »

Article 24 § 5

« Après la fin de la procédure décrite ci-dessus, le conseil pénitentiaire décide du placement définitif ou provisoire du détenu dans une section spécifique de l’institution pénitentiaire »

B.  Autres textes nationaux et internationaux pertinents

1.  Le rapport dressé selon la législation pénitentiaire par le comité constitué par le procureur-superviseur des prisons

54.  En mai 2007, ce comité, constitué de médecins affiliés à la direction des contrôles et de la police sanitaire de la préfecture du Pirée ainsi qu’à l’Ordre des Médecins du Pirée, effectua plusieurs visites à la prison de Korydallos. Il fut constaté, entre autres, que le dispensaire de la prison hébergeait entre 121 et 135 détenus, soit douze par chambre. Trois patients étaient atteints de tuberculose, ce qui constituait un danger de contamination tant pour les autres patients que pour le personnel du dispensaire. Le comité releva aussi que le nombre de médecins traitants était insuffisant et que le service de garde était, en principe, assuré par des internes.

2.  Les constatations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) après sa visite à la prison de Korydallos en 2007

55.  Le CPT visita le dispensaire de la prison de Korydallos et constata que la qualité du service médical était inacceptable et que des recommandations formulées antérieurement sur ce sujet n’avaient pas été suivies par les autorités internes. En particulier, le CPT souligna que les ressources médicales du dispensaire étaient complètement inadaptées pour une prison d’une telle capacité et qu’il n’y avait pas eu de progrès depuis sa dernière visite en 2005. Le service du dispensaire était principalement assuré par des détenus, qui tenaient le registre médical des détenus et secondaient le personnel médical. Pour le CPT, cette situation était inacceptable puisque, à titre d’exemple, l’administration de médicaments devait être effectuée par une personne qualifiée sous la direction d’un pharmacien.

3.  La partie pertinente du deuxième rapport général d’activités du CPT (document CPT/Inf (92)3), publié le 13 avril 1992)

56.  «  (...)

43.  Le point de savoir ce qu’est la taille raisonnable d’une cellule de police (ou tout autre type d’hébergement pour un détenu/prisonnier) est une question difficile. De nombreux facteurs sont à prendre en compte dans une telle évaluation. Toutefois, les délégations du CPT ont ressenti, en ce domaine, le besoin d’une ligne directrice approximative. Le critère suivant (entendu au sens d’un niveau souhaitable plutôt que d’une norme minimale) est actuellement utilisé dans l’appréciation des cellules de police individuelles, pour un séjour dépassant quelques heures : environ 7 m² avec 2 mètres ou plus entre les murs et 2,50 m entre sol et plafond. »

4.  Le rapport du CPT sur la visite en Slovaquie en 2000 (document CPT/Inf (2001) 29, publié le 6 décembre 2001)

57.  Le CPT recommanda que le standard minimum de la surface souhaitable par personne dans les cellules des prisons abritant plusieurs détenus soit fixé à 4 m2. En outre, le CPT releva que la surface de 9 m2 serait idéale en ce qui concerne les cellules occupées par une personne (§ 62).

5.  Extraits des lignes directrices sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme adoptées par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 11 juillet 2002

58.  « (...)

XI. Détention

1.  Une personne privée de liberté pour activités terroristes doit être traitée en toutes circonstances avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.

2.  Les impératifs de la lutte contre le terrorisme peuvent exiger que le traitement d’une personne privée de liberté pour activités terroristes fasse l’objet de restrictions plus importantes que celles touchant d’autres détenus en ce qui concerne notamment :

(i)  la réglementation des communications et la surveillance de la correspondance, y compris entre l’avocat et son client ;

(ii)  le placement des personnes privées de liberté pour activités terroristes dans des quartiers spécialement sécurisés ;

(iii)  la dispersion de ces personnes à l’intérieur du même établissement pénitentiaire ou dans différents établissements pénitentiaires, à condition qu’il y ait rapport de proportionnalité entre le but poursuivi et la mesure prise. »

6.  Extraits de la recommandation no (2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptée le 11 janvier 2006

59.  « Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,

(...)

Recommande aux gouvernements des Etats membres :

-  de suivre dans l’élaboration de leurs législations ainsi que de leurs politiques et pratiques des règles contenues dans l’annexe à la présente recommandation qui remplace la Recommandation no R (87) 3 du Comité des Ministres sur les Règles pénitentiaires européennes ; »

(...)

Annexe à la Recommandation no (2006)2

« Principes fondamentaux

1.  Les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l’homme.

(...)

18.2  Dans tous les bâtiments où des détenus sont appelés à vivre, à travailler ou à se réunir :

a.  les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que les détenus puissent lire et travailler à la lumière naturelle dans des conditions normales, et pour permettre l’entrée d’air frais, sauf s’il existe un système de climatisation approprié ; 
b.  la lumière artificielle doit être conforme aux normes techniques reconnues en la matière ;

(...)

25.1  Le régime prévu pour tous les détenus doit offrir un programme d’activités équilibré.

25.2  Ce régime doit permettre à tous les détenus de passer chaque jour hors de leur cellule autant de temps que nécessaire pour assurer un niveau suffisant de contacts humains et sociaux.

25.3  Ce régime doit aussi pourvoir aux besoins sociaux des détenus.

(...)

27.1  Tout détenu doit avoir l’opportunité, si le temps le permet, d’effectuer au moins une heure par jour d’exercice en plein air.

(...)

27.3  Des activités correctement organisées – conçues pour maintenir les détenus en bonne forme physique, ainsi que pour leur permettre de faire de l’exercice et de se distraire – doivent faire partie intégrante des régimes carcéraux.

27.4  Les autorités pénitentiaires doivent faciliter ce type d’activités en fournissant les installations et les équipements appropriés.

27.5  Les autorités pénitentiaires doivent prendre des dispositions spéciales pour organiser, pour les détenus qui en auraient besoin, des activités particulières.

(...)

Partie III

Santé

Soins de santé

39.  Les autorités pénitentiaires doivent protéger la santé de tous les détenus dont elles ont la garde.

Organisation des soins de santé en prison

40.1  Les services médicaux administrés en prison doivent être organisés en relation étroite avec l’administration générale du service de santé de la collectivité locale ou de l’Etat.

40.2  La politique sanitaire dans les prisons doit être intégrée à la politique nationale de santé publique et compatible avec cette dernière.

40.3  Les détenus doivent avoir accès aux services de santé proposés dans le pays sans aucune discrimination fondée sur leur situation juridique.

40.4  Les services médicaux de la prison doivent s’efforcer de dépister et de traiter les maladies physiques ou mentales, ainsi que les déficiences dont souffrent éventuellement les détenus.

40.5  A cette fin, chaque détenu doit bénéficier des soins médicaux, chirurgicaux et psychiatriques requis, y compris ceux disponibles en milieu libre.

Personnel médical et soignant

41.1  Chaque prison doit disposer des services d’au moins un médecin généraliste.

41.2  Des dispositions doivent être prises pour s’assurer à tout moment qu’un médecin diplômé interviendra sans délai en cas d’urgence.

41.3  Les prisons ne disposant pas d’un médecin exerçant à plein temps doivent être régulièrement visitées par un médecin exerçant à temps partiel.

41.4  Chaque prison doit disposer d’un personnel ayant suivi une formation médicale appropriée.

41.5  Tout détenu doit pouvoir bénéficier des soins de dentistes et d’ophtalmologues diplômés.

Devoirs du médecin

(...)

43.1  Le médecin doit être chargé de surveiller la santé physique et mentale des détenus et doit voir, dans les conditions et au rythme prévus par les normes hospitalières, les détenus malades, ceux qui se plaignent d’être malades ou blessés, ainsi que tous ceux ayant été spécialement portés à son attention.

43.2  Le médecin ou un(e) infirmier(ère) qualifié(e) dépendant de ce médecin doit prêter une attention particulière à la santé des détenus dans des conditions d’isolement cellulaire, doit leur rendre visite quotidiennement; et doit leur fournir promptement une assistance médicale et un traitement, à leur demande ou à la demande du personnel pénitentiaire.

43.3  Le médecin doit présenter un rapport au directeur chaque fois qu’il estime que la santé physique ou mentale d’un détenu encourt des risques graves du fait de la prolongation de la détention ou en raison de toute condition de détention, y compris celle d’isolement cellulaire.

(...)

45.1  Le directeur doit tenir compte des rapports et conseils du médecin ou de l’autorité compétente mentionnés dans les Règles 43 et 44 et, s’il approuve les recommandations formulées, prendre immédiatement des mesures pour les mettre en œuvre.

(...)

Administration des soins de santé

46.1  Les détenus malades nécessitant des soins médicaux particuliers doivent être transférés vers des établissements spécialisés ou vers des hôpitaux civils, lorsque ces soins ne sont pas dispensés en prison.

46.2  Lorsqu’une prison dispose de son propre hôpital, celui-ci doit être doté d’un personnel et d’un équipement en mesure d’assurer les soins et les traitements appropriés aux détenus qui lui sont transférés.

(...)

51.1  Les mesures de sécurité appliquées aux détenus individuels doivent correspondre au minimum requis pour assurer la sécurité de leur détention.

(...)

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

60.  Le requérant se plaint que, vu son état de santé, la prolongation de son incarcération constitue une torture ou une peine inhumaine ou dégradante. Il se plaint aussi du manque de soins médicaux suffisants et adaptés à ses pathologies. Il invoque l’article 3 combiné avec l’article 5 § 4 de la Convention. La Cour examinera ce grief sous l’angle de l’article 3, seule disposition pertinente en l’espèce, qui se lit comme suit :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A.  Sur la recevabilité

61.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  Le Gouvernement

62.  Le Gouvernement rappelle que le requérant a été grièvement blessé par l’explosion de la bombe et qu’il a, de plus, été condamné par la suite pour des crimes très graves relatifs à l’accomplissement d’actes terroristes. Il soutient que les soins administrés à l’intéressé tout au long de son incarcération sont tout à fait adaptés à son état de santé. Dès l’incarcération du requérant, son suivi médical a été continu et systématique. Le Gouvernement fait valoir que le requérant a été soumis à des centaines d’examens médicaux, que les traitements pharmaceutiques prescrits par ses médecins traitants lui sont administrés et qu’il est suivi par des médecins spécialisés qui sont soit affiliés à des hôpitaux publics soit choisis par lui-même.

63.  De plus, le Gouvernement reconnaît que le requérant souffre de problèmes de santé et qu’au fil de son incarcération des complications sont apparues. Néanmoins, il souligne, en produisant des certificats médicaux, que l’état de santé du requérant est, en général, stable et sous contrôle et qu’il s’est parfois même amélioré. Le Gouvernement affirme que le requérant est transféré avec diligence chaque fois que cela est nécessaire, soit au dispensaire de la prison de Korydallos, soit à des hôpitaux publics spécialisés. Les autorités pénitentiaires ont chaque fois pris les initiatives nécessaires afin de garantir le transfert rapide du requérant dans un hôpital public en cas d’urgence. Concernant les cas où un certain retard pourrait être constaté à cet égard, comme par exemple le transfert du requérant vers un hôpital public pour effectuer un examen IRM du cerveau, le Gouvernement allègue que des désaccords se sont fait jour entre médecins traitants quant à la méthode médicale à choisir. En particulier, selon le Gouvernement, les médecins traitants du requérant avaient relevé que des microparticules de la bombe, lors de l’explosion dans ses mains, auraient pu rester dans son œil, ce qui pouvait entraîner des risques pour sa santé en cas d’examen IRM. En tout état de cause, le Gouvernement relève que le premier examen IRM a finalement eu lieu en octobre 2004.

64.  En outre, quant à la décision no 5345/2006 du tribunal correctionnel du Pirée, le Gouvernement affirme que celle-ci fait référence au rapport des médecins légistes qui étaient mandatés pour se prononcer sur l’état de la vue du requérant. Le Gouvernement souligne que ledit rapport n’a pas considéré qu’une intervention chirurgicale ophtalmologique était nécessaire. De plus, la question de son hospitalisation dans un centre ophtalmologique spécialisé relève de ses médecins traitants et non pas des autorités pénitentiaires. Enfin, le Gouvernement souligne que des contrôles médicaux visant à vérifier l’état de la vue du requérant sont souvent programmés dans des hôpitaux publics.

65.  S’agissant des conditions de détention et de l’état de la cellule du requérant, le Gouvernement affirme que ceux-ci sont conformes aux normes nationales et internationales pertinentes. Il relève que la cellule du requérant est suffisamment éclairée et aérée, grâce à une fenêtre qui donne sur la cour intérieure. De plus, il observe que les autorités compétentes ont veillé à maintenir un juste équilibre entre ses droits en tant que détenu et les besoins de l’instruction judiciaire : en effet, le régime spécial, auquel le requérant avait été soumis au début de son incarcération, a pris fin immédiatement après l’achèvement de l’instruction. Le Gouvernement ajoute que le requérant avait le droit de demander son transfert vers une autre cellule de son choix dans le quartier de la prison où étaient détenus les membres condamnés de l’organisation « 17 novembre ». De plus, il avait la possibilité de solliciter le partage de sa cellule avec un autre détenu qui pourrait l’accompagner et le secourir au quotidien.

66.  Enfin, concernant le dispensaire de la prison, le Gouvernement note, tout d’abord, que la cellule du requérant se trouve près du dispensaire du quartier pour femmes et que, par conséquent, l’intéressé peut facilement y accéder en cas d’urgence. De plus, le dispensaire pour hommes se trouve à une distance de quelques centaines de mètres de la cellule du requérant. Les soins médicaux sont dispensés par des médecins externes et, pendant la nuit, un service de garde est mis en place. En cas d’urgence, le patient peut être transféré vers un hôpital public pour recevoir les soins médicaux pertinents. Enfin, le Gouvernement argue qu’il ne ressort aucunement du dossier que la suspension de l’exécution de la peine par le requérant est nécessaire, ce que confirme aussi la décision no 5345/2006, suffisamment motivée, du tribunal correctionnel du Pirée. Si le requérant estime que son état de santé s’est détérioré après la décision no 5345/2006, le Gouvernement considère qu’il n’a qu’à réitérer sa demande de sursis à exécution de sa peine.

b)  Le requérant

67.  Le requérant rétorque qu’il souffre de séquelles très importantes et qu’il devait faire l’objet d’un suivi médical continu et systématique, à savoir être admis pour le temps nécessité par la nature de son traitement dans un hôpital spécialisé. Selon lui, l’infrastructure du dispensaire de la prison de Korydallos est largement insuffisante pour faire face aux complications de son état de santé. De surcroît, il allègue que les transferts à l’hôpital pour subir une opération chirurgicale ou pour être soumis à un certain traitement médical sont intervenus avec un certain retard, ce qui a provoqué une dégradation supplémentaire de son état de santé. Il soutient en outre que, lors de ses transferts, on ne lui administrait que les soins absolument nécessaires sans envisager son hospitalisation pour la période requise et appliquée dans des cas similaires. Le requérant remarque que les mesures de sécurité étaient si importantes lors de ses transferts que la direction des hôpitaux souhaitait son départ le plus tôt possible afin de réduire au maximum la perturbation de l’établissement. Pour le requérant, les lacunes quant aux soins médicaux qui lui ont été dispensés tout au long de son incarcération ont entraîné l’aggravation de son état de santé, ce qui aurait pu être évité.

68.  De plus, le requérant estime que ses conditions de détention ont également contribué à la détérioration de son état de santé. Il relève que la fenêtre de sa cellule ne permet ni de ventiler correctement celle-ci ni de faire entrer la lumière naturelle. Il note que le fait de lui faire partager sa cellule avec son frère, comme c’était le cas au début de son incarcération, ne constitue pas une solution à sa situation difficile. En effet, son frère est agriculteur de profession et sa présence ne pourrait pas remplacer le besoin d’un infirmier ou, en général, du personnel spécialisé pour le secourir. En outre, le requérant relève que les toilettes sont situées dans la cellule, avec un mur qui les sépare du reste de l’espace. Par conséquent, le partage de la cellule avec un autre détenu poserait des problèmes évidents d’intimité.

69.  Le requérant allègue que, suite à la décision no 5345/2006, il n’a pas été transféré à l’hôpital et son état de santé ne s’est pas amélioré. Il soutient qu’il court le risque constant de subir des complications, comme un décollement de la rétine, une chute en raison du syndrome vestibulaire dont il souffre ou une crise d’asthme, auxquelles les infrastructures insuffisantes de la prison ne pourront pas pallier. Il ajoute qu’à ce jour aucune prothèse ou autre aide mécanique ne lui a été offerte pour soulager ses pathologies. En conséquence, il vit pratiquement isolé dans sa cellule, avec des difficultés particulières à satisfaire ses besoins personnels, ce qui lui occasionne des souffrances physiques et mentales supplémentaires.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes généraux

70.  L’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Les difficultés que rencontrent les Etats à notre époque pour protéger leurs populations de la violence terroriste sont réelles. Cependant, l’article 3 ne prévoit pas de restrictions, en quoi il contraste avec la majorité des clauses normatives de la Convention et des Protocoles nos 1 et 4 et, conformément à l’article 15 § 2, il ne souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (Ramirez Sanchez c. France [GC], no 59450/00, § 116, 4 juillet 2006 ; Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 95, CEDH 1999-V). La prohibition de la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants est absolue, quels que soient les agissements de la personne concernée (Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, § 127, CEDH 2008-...).

71.  Pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un seuil minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence et dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la nature et du contexte du traitement, de sa durée et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi d’autres, Dybeku c. Albanie, no 41153/06, § 36, 18 décembre 2007 ; Mikadzé c. Russie, no 52697/99, § 108, 7 juin 2007). Pour qu’une peine ou le traitement dont elle s’accompagne soient « inhumains » ou « dégradants », la souffrance doit en tout cas aller au-delà de celle que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitime (voir, par exemple, Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 428, CEDH 2004-VII et Lorsé et autres c. Pays-Bas, no 52750/99, § 62, 4 février 2003).

72.  S’agissant des personnes privées de liberté, l’article 3 impose à l’Etat l’obligation d’organiser son système pénitentiaire de façon à assurer aux détenus le respect de leur dignité humaine (Soukhovoy c. Russie, no 63955/00, § 31, 27 mars 2008 ; Benediktov c. Russie, n106/02, § 37, 10 mai 2007). Cette obligation positive requiert que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier soient assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002-IX).

73.  Il ressort de la jurisprudence que le devoir de soigner la personne malade au cours de sa détention met à la charge de l’Etat les obligations particulières de veiller à ce que le détenu soit capable de purger sa peine, de lui administrer les soins médicaux nécessaires et d’adapter, le cas échéant, les conditions générales de détention à la situation particulière de son état de santé.

74.  Quant à la première obligation, dans un Etat de droit, la capacité à subir une détention est la condition pour que l’exécution de la peine puisse être poursuivie. Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de remettre en liberté ou bien de transférer dans un hôpital civil un détenu, même si ce dernier souffre d’une maladie particulièrement difficile à soigner (Mouisel, précité, loc.cit.), la Cour ne saurait exclure que, dans des conditions particulièrement graves, l’on puisse se trouver en présence de situations où une bonne administration de la justice pénale exige que des mesures de nature humanitaire soient prises pour y parer (Matencio c. France, no 58749/00, § 76, 15 janvier 2004 ; Sakkopoulos c. Grèce, no 61828/00, § 38, 15 janvier 2004). Partant, dans des cas exceptionnels où l’état de santé du détenu est absolument incompatible avec sa détention, l’article 3 peut exiger la libération de la personne concernée sous certaines conditions (Rojkov c. Russie, no 64140/00, § 104 19 juillet 2007).

75.  Concernant la deuxième obligation, le manque de soins médicaux appropriés peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 (voir İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII ; Gennadiy Naumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 112, 10 février 2004). La Cour exige, tout d’abord, l’existence d’un encadrement médical pertinent du malade et l’adéquation des soins médicaux prescrits à sa situation particulière. L’efficacité du traitement dispensé présuppose ainsi que les autorités pénitentiaires offrent au détenu les soins médicaux prescrits par des médecins compétents (voir Soysal c. Turquie, no 50091/99, § 50, 3 mai 2007 ; Gorodnitchev c. Russie, no 52058/99, § 91, 24 mai 2007). De plus, la diligence et la fréquence avec lesquelles les soins médicaux sont dispensés à l’intéressé sont deux éléments à prendre en compte pour mesurer la compatibilité de son traitement avec les exigences de l’article 3. En particulier, ces deux facteurs ne sont pas évalués par la Cour en des termes absolus, mais en tenant compte chaque fois de l’état particulier de santé du détenu (Serifis c. Grèce, no 27695/03, § 35, 2 novembre 2006; Rohde c. Danemark, no 69332/01, § 106, 21 juillet 2005 ; Iorgov c. Bulgarie, no 40653/98, § 85, 11 mars 2004; Sediri c. France (déc.), no 4310/05, 10 avril 2007). En général, la dégradation de la santé du détenu ne joue pas en soi un rôle déterminant quant au respect de l’article 3 de la Convention. La Cour examinera à chaque fois si la détérioration de l’état de santé de l’intéressé était imputable à de lacunes dans les soins médicaux dispensés (voir Kotsaftis c. Grèce, no 39780/06, § 53, 12 juin 2008).

76.  En dernier lieu, pour ce qui est de la troisième obligation, la Cour exige que l’environnement carcéral soit adapté, si nécessaire, aux besoins spéciaux du détenu afin de lui permettre de purger sa peine dans des conditions qui ne portent pas atteinte à son intégrité morale. A ce jour, la Cour a déjà examiné des affaires portant sur la nécessité d’adopter des mesures particulières en prison afin de permettre à des détenus souffrant de handicaps physiques importants de satisfaire au quotidien leurs besoins personnels de manière conforme à la dignité humaine (Vincent c. France, no 6253/03, §§ 104-114, 24 octobre 2006 ; Mathew c. Pays-Bas, no 24919/03, §§ 190-191, CEDH 2005-IX ; Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 29, CEDH 2001-VII).

b)  Application en l’espèce

77.  Dans le cadre de la présente affaire, la Cour devra examiner, au regard des principes énoncés ci-dessus, en premier lieu, la compatibilité du maintien en détention du requérant avec les exigences de l’article 3 de la Convention. Ensuite, la Cour se penchera sur la qualité des soins médicaux dispensés à l’intéressé et, enfin, sur le besoin d’adaptation des conditions de détention à son état de santé.

i.  Sur la capacité du détenu à purger sa peine

78.   En ce qui concerne la capacité du requérant à purger sa peine, la Cour constate qu’il ressort de l’état actuel du dossier et, tout particulièrement, des rapports et certificats médicaux produits par les parties, que le requérant souffre de séquelles très importantes, causées par l’explosion d’une bombe qu’il tenait entre ses mains : sa vue est gravement atteinte, il rencontre des problèmes auditifs sérieux, il souffre d’asthme et du syndrome pyramidal, ce qui complique ses déplacements dans la prison. De plus, le requérant a perdu sa main droite, lors de l’explosion de la bombe, rendant ainsi difficile pour lui l’accomplissement des besoins de la vie quotidienne.

79.  La Cour note que tout au long de son incarcération, les médecins ayant assuré le suivi médical du requérant n’ont pas suggéré qu’il était incapable de purger sa peine. Concernant tout particulièrement l’état de sa vue, qui a fait l’objet de la plupart des examens médicaux effectués après sa mise en détention, l’Hôpital général d’Athènes, établissement auquel le requérant a été fréquemment transféré soit en urgence soit pour subir des opérations chirurgicales programmées ou lorsque il y avait besoin de vérifier sa vue par une clinique externe spécialisée, n’a jamais conclu qu’il était incapable de continuer à purger sa peine. Certes, la Cour note que le directeur de la clinique ophtalmologique de l’hôpital public de Penteli, qui avait aussi examiné le requérant à plusieurs reprises, a suggéré dans un rapport médical délivré à une date non précisée que la mise en liberté de l’intéressé était nécessaire en vue de son hospitalisation « systématique ». Or, la Cour note que ledit avis médical ne préconisait pas dans l’abstrait la mise en liberté du requérant parce qu’il était incapable de purger sa peine mais, en revanche, le sursis à l’exécution de la peine pour rendre possible son hospitalisation de manière « systématique ». Cela est confirmé par les conclusions des médecins légistes qui ont été mandatés par l’autorité judiciaire compétente pour dresser un rapport sur la nécessité de sursoir à l’exécution de sa peine. En effet, le rapport soumis à la juridiction de l’exécution des peines ne concluait pas à l’incapacité du requérant de purger sa peine, mais à l’opportunité de son hospitalisation au sein d’un centre ophtalmologique spécialisé.

80.  Quoi qu’il en soit, il est à noter que le droit interne met en place la procédure prévue par l’article 557 du code de procédure pénale, à travers laquelle le requérant peut toujours réitérer sa demande de sursis à exécution de sa peine ou même d’élargissement au cas où son état de santé se détériorerait davantage.

81.  Au vu de ce qui précède, la Cour ne considère pas que la situation du requérant fait partie des cas exceptionnels dans lesquels l’état de santé du détenu est absolument incompatible avec son maintien en détention.

ii.  Sur la qualité des soins médicaux dispensés

82.  Etant donné l’état particulièrement préoccupant de la santé du requérant, ce dont conviennent les parties, la Cour estime que la pertinence du traitement médical dispensé à l’intéressé revêt une importance particulière dans le cadre de la présente affaire.

83.  La Cour observe tout d’abord qu’en général le requérant a fait l’objet d’un traitement médicalement encadré et effectué par un personnel médical spécialisé. En particulier, s’agissant de ses problèmes auditifs, neurologiques et respiratoires, la Cour estime que les autorités compétentes lui ont dispensé des soins médicaux appropriés à son état de santé. En ce qui concerne son ouïe, le requérant a subi une tympanoplastie qui, selon l’attestation médicale du 3 octobre 2006 délivrée par l’Hôpital général de Nikaia, a amélioré, dans la mesure du possible, son état auditif. De surcroît, les TDM et IRM effectuées, même avec un certain retard, pour examiner l’état auditif et neurologique du requérant n’ont pas révélé d’anomalies. Enfin, quant à l’asthme chronique dont souffre le requérant, il ressort du dossier que celui-ci suit le traitement pharmaceutique prescrit pas ses médecins.

84.  Concernant les problèmes de vue, la Cour note que tout au long de son incarcération, le requérant a fait l’objet de divers examens médicaux effectués par le personnel médical du dispensaire de la prison de Korydallos, de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital général d’Athènes, de l’Hôpital général de Nikaia, de la clinique ophtalmologique de l’hôpital public de Penteli ainsi que du médecin pathologiste G.M. De plus, il a subi plusieurs opérations pour limiter la dégradation de sa vue : en 2002, il a été opéré à deux reprises pour décollement de la rétine, traitement de la cataracte et ablation de l’huile de silicone. En 2003, il a subi une kératoplastie et en 2004, il fut à nouveau opéré pour ablation de silicone. Il ressort de son dossier médical que les autorités pénitentiaires ont réagi avec diligence chaque fois que les médecins traitants ont demandé son transfert dans un hôpital externe. Ainsi, à titre d’exemple, le requérant a été transféré à l’Hôpital général d’Athènes pour subir une opération en raison d’un décollement de la rétine le 24 décembre 2002, à savoir trois jours après son diagnostic par le médecin attaché au dispensaire de la prison de Korydallos.

85.  Il n’en reste pas moins qu’au cours de l’incarcération du requérant, divers médecins spécialistes ont souligné la nécessité de son hospitalisation dans un centre ophtalmologique spécialisé afin de faire l’objet d’un suivi médical « systématique », à savoir être admis à l’hôpital pour le temps nécessité par la nature de son traitement. Ainsi, le directeur de la clinique ophtalmologique de Penteli a observé en 2005 qu’un « suivi médical systématique, fréquent et global [était] nécessaire pour empêcher la dégradation dramatique de la vue du requérant ». Le même médecin a réitéré cette conclusion le 8 mars 2006, en demandant l’admission du requérant dans un « centre médical spécialisé et son suivi médical adéquat et continu ». De surcroît, les médecins légistes I.B. et D.T. ont soumis le 9 août 2006 au tribunal de l’exécution des peines un rapport, ordonné par le procureur près le tribunal correctionnel du Pirée sur l’état de santé du requérant et la nécessité de l’hospitaliser « systématiquement ». Après avoir passé en revue les avis médicaux délivrés par les ophtalmologues ayant examiné le requérant, le rapport a conclu à la nécessité d’hospitaliser l’intéressé dans un centre ophtalmologique spécialisé afin de faire l’objet d’un suivi médical systématique et continu. Pour sa part, le tribunal correctionnel du Pirée, se fondant sur l’expertise médicale soumise par les médecins I.B. et D.T., a rejeté, sur la base de l’article 557 §§ 2 et 3 du code de procédure pénale, la demande de sursis à exécution introduite par le requérant. Il a considéré que le médecin M.M., directeur de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital général d’Athènes, qui suivait régulièrement le requérant, n’avait jamais suggéré son hospitalisation systématique, à savoir son séjour dans un centre ophtalmologique pour le temps nécessité par la nature de son traitement.

86.  La Cour estime qu’il ne lui incombe pas de se prononcer, dans l’abstrait, sur la manière dont le tribunal de l’exécution des peines aurait dû trancher la demande introduite par le requérant. Elle considère pour autant que la question de savoir si l’autorité judiciaire compétente a pris suffisamment en compte tous les éléments qui étaient à sa disposition revêt une importance particulière dans le cadre de l’article 3 de la Convention ; elle est en effet directement liée à la qualité des soins dispensés au requérant, car son admission dans un centre médical spécialisé pour le temps nécessité par la nature de son traitement pourrait s’avérer déterminante quant à l’évolution de son état de santé.

87.  Dans ce contexte, la Cour observe que, pour rejeter la demande de sursis à exécution, le tribunal correctionnel a principalement pris en compte les avis émis par quatre médecins spécialisés, à savoir ceux du directeur de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital général d’Athènes, du directeur de la clinique ophtalmologique de Penteli et des médecins légistes I.B. et D.T. Ainsi, il apparaît clairement que, si le directeur de l’Hôpital général d’Athènes n’avait pas jugé nécessaire l’hospitalisation « systématique » du requérant, les trois autres médecins l’ont explicitement fait. Plus spécialement, I.B. et D.T. avaient été spécifiquement nommés par le tribunal correctionnel d’Athènes pour établir une expertise sur le sujet et, si le tribunal correctionnel a fait référence à l’expertise médicale qu’ils avaient soumise, il n’a pas explicité les raisons pour lesquelles il s’est écarté de leur avis pour se rallier à celui du médecin M.M., au seul motif que ce dernier suivait régulièrement le requérant. Aux yeux de la Cour, si la juridiction interne ne souhaitait pas entériner les conclusions I.B. et D.T., il aurait été préférable qu’elle demande une expertise médicale supplémentaire sur ce sujet controversé, au lieu de se prononcer elle-même sur cette question de nature fondamentalement médicale, qui constituait le point essentiel des modalités de la prise en charge de la santé du requérant.

88.  De surcroît, la Cour relève que le tribunal correctionnel du Pirée a considéré que la suspension de la détention du requérant ne s’imposait pas du fait que celui-ci était « hospitalisé en substance » au sein de la prison de Korydallos, ce qui signifie que ses conditions de détention équivalaient pratiquement à une hospitalisation. Or, cet élément ne ressort pas du dossier de l’affaire. Il convient tout d’abord de rappeler que les parties s’accordent à dire que le requérant purge sa peine dans sa cellule au sein de la prison de Korydallos. De plus, à supposer même que l’intéressé ait été transféré au dispensaire de la prison de Korydallos, il ressort des rapports dressés par des organes nationaux et internationaux que les services médicaux dispensés étaient loin d’être comparables à ceux normalement administrés par un hôpital et qu’ils ne pouvaient donc pas être assimilés à une hospitalisation dans un centre ophtalmologique telle que celle préconisée par les médecins légistes I.B. et D.T. En particulier, selon le rapport dressé en 2007 par un comité constitué de médecins affiliés tant à la Direction des contrôles et de la police sanitaires de la Préfecture du Pirée qu’à l’Ordre des Médecins du Pirée, le nombre des médecins traitants affectés au dispensaire de la prison était insuffisant et le service de garde était, en général, assuré par des internes (paragraphe 54 ci-dessus). En outre, le CPT, à la suite de la visite qu’il effectua également en 2007 dans la prison de Korydallos, a conclu que la qualité des soins médicaux dispensés était inacceptable et que le service du dispensaire était principalement assuré par des détenus, qui tenaient le registre médical et secondaient le personnel médical (paragraphe 55 ci-dessus).

89.  En dernier lieu, la Cour estime que ses considérations précédentes doivent être associées à la gravité incontestable de l’état de santé du requérant et, en particulier, à la dégradation de son acuité visuelle tout au long de son incarcération. Il convient sur ce point de relever qu’à l’exception du directeur de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital général, tous les médecins traitants ont fait état d’une dégradation importante de la vue du requérant. A la lumière de cet élément, la Cour conclut que les divers rapports médicaux préconisant l’hospitalisation « systématique » du requérant dans une clinique spécialisée auraient dû être pris en compte de manière plus approfondie par l’autorité judiciaire compétente. En outre, vu la piètre qualité des soins médicaux administrés par le dispensaire de la prison de Korydallos, la Cour émet des doutes quant à la capacité du personnel qui y travaillait en permanence à faire face à une situation d’urgence, par exemple à une détérioration soudaine et imprévisible de l’état de santé du requérant (voir en ce sens Khoudobine c. Russie, no 59696/00, § 95, CEDH 2006-XII (extraits) ; Sarban c. Moldova, no 3456/05, § 86, 4 octobre 2005).

90.  Dans ces conditions, la Cour ne saurait considérer que, sur ce point précis, les autorités compétentes ont fait ce qu’on pouvait raisonnablement attendre d’elles vu les exigences de l’article 3 de la Convention.

iii.  Sur le caractère adapté de l’environnement carcéral du requérant avec son état de santé

91.  L’adaptation des conditions de détention aux besoins particuliers du requérant revêt une importance particulière dans le cas d’espèce, pour deux raisons principales : en premier lieu, le requérant souffre de handicaps physiques importants qui affectent considérablement ses aptitudes sensorielles et motrices. En second lieu, il est condamné à la réclusion à perpétuité, ce qui signifie qu’en principe, il sera soumis, pour le restant de son existence, aux conditions de vie qui lui sont imposées actuellement.

92.  La Cour considère d’emblée que les conditions générales de détention du requérant ne prêtent pas à critique. En particulier, celui-ci est détenu dans une cellule suffisamment grande, d’une superficie de 12 m2, où il séjourne seul (paragraphe 57 ci-dessus, et Ramirez Sanchez, arrêt précité, §§ 12 et 127) et qu’il a en outre la possibilité de se promener huit à neuf heures par jour dans une cour intérieure (voir, en ce sens, Valašinas c. Lituanie, no 44558/98, §§ 103 et 107, CEDH 2001-VIII et Nurmagomedov c. Russie (déc.), no 30138/02, 16 septembre 2004). Par ailleurs, la cellule est pourvue d’une fenêtre recevant de la lumière naturelle, ce qui permet aussi son aération. De surcroît, elle dispose de toilettes individuelles, séparées par un mur du reste de la cellule, et du chauffage central et halogène. Au vu de ce qui précède, la Cour constate que les conditions matérielles de la détention du requérant ne sont pas contraires à l’article 3 de la Convention (voir, en ce sens, Sotiropoulou c. France (déc.), no 40225/02, 18 janvier 2007).

93.  Certes, la Cour ne perd pas de vue que le requérant est obligé de rester seul dans sa cellule sans assistance pour l’accomplissement des gestes de la vie quotidienne. En effet, la gravité des problèmes sensoriels et moteurs dont il souffre et le fait qu’il ait aussi perdu sa main droite, rendent la satisfaction de ses besoins personnels, en l’absence d’une personne chargée de l’assister au quotidien, particulièrement compliquée. Il convient de rappeler à cet égard que, lors des six premiers mois de sa détention, les autorités pénitentiaires avaient ordonné que le requérant partageât sa cellule avec son frère, lui aussi condamné pour appartenance au groupe terroriste « 17 novembre », pour l’assister dans ses besoins quotidiens. Or, il ressort du dossier que le requérant n’a, à ce jour, pas demandé aux autorités pénitentiaires de partager sa cellule avec un codétenu ou de recevoir l’assistance d’un accompagnateur. La Cour considère donc que les autorités pénitentiaires ne sauraient être tenues pour responsables du fait que le requérant se trouve dans sa cellule sans assistance pour l’accomplissement des gestes de la vie quotidienne. A cet égard, elle relève par ailleurs qu’il ne ressort ni des conditions générales de détention du requérant ni du dossier que le requérant se trouve à la merci du bon vouloir de ses codétenus ou du personnel pénitentiaire, ce qui aurait pu provoquer chez lui des sentiments de rabaissement, d’humiliation et, a fortiori, une atteinte supplémentaire à son intégrité morale (voir, a contrario, Vincent, précité, § 102).

iv. Conclusion

94.  Au vu de ce qui précède, la Cour reconnaît, d’une part, que les autorités pénitentiaires ont fait preuve de leur volonté d’offrir au requérant un traitement médicalement encadré et effectué par un personnel médical spécialisé. D’autre part, elle relève que les autorités judiciaires compétentes n’ont pas suffisamment pris en compte les rapports médicaux du directeur de la clinique ophtalmologique de Penteli et des médecins légistes I.B. et D.T., préconisant le besoin d’hospitalisation du requérant dans un centre médical spécialisé pour le temps jugé nécessaire par la nature de son traitement. Cet élément combiné avec la gravité de l’état de santé du requérant et la qualité insuffisante des soins médicaux offerts par le dispensaire de la prison de Korydallos suffit à la Cour pour constater l’existence d’un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.

II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

95.  Le requérant se plaint de l’illégalité de la décision no 5345/2006 du tribunal correctionnel d’Athènes, qui a maintenu sa détention malgré la dégradation irréversible de son état de santé. De surcroît, le requérant se plaint de l’impartialité de la même juridiction. Il allègue que ladite juridiction n’a pas fondé ses conclusions uniquement sur son état de santé, mais qu’elle a aussi été influencée par la gravité des actes pour lesquels il a été condamné. Le requérant invoque les articles 5 § 4 et 6 § 1 de la Convention qui se lisent comme suit :

Article 5 § 4

« (...)

4.  Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

(...) »

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Sur la recevabilité

96.  Quant au grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention, la Cour rappelle que le droit de faire contrôler par un tribunal la légalité d’une décision qui prive un individu de liberté ne s’impose que si elle a été prise par une autorité administrative (voir en ce sens, Van Glabeke c. France, no 38287/02, § 31, CEDH 2006-III). Dans le cas où la décision d’internement a été rendue par un tribunal statuant sur l’issue d’une procédure judiciaire, le contrôle voulu par l’article 5 § 4 se trouve incorporé à la décision initiale (Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 58, CEDH 2000-X).

97.  En l’espèce, la Cour note tout d’abord l’existence d’un lien de causalité suffisant entre la condamnation du requérant en vertu des arrêts nos 3244 et 3395/2003 de la cour d’assises d’Athènes et sa mise en détention dans la prison de Korydallos (Weeks c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 42, série A no 114). Quoi qu’il en soit, le grief du requérant est dirigé contre l’arrêt no 5345/2006 du tribunal correctionnel du Pirée ayant rejeté la demande d’interruption de sa peine pour des raisons de santé, lequel ne constitue pas la décision interne l’ayant privé de sa liberté mais celle qui a rejeté sa demande de suspension de sa détention pour des raisons de santé. En d’autres termes, par son recours devant le tribunal correctionnel d’Athènes, le requérant n’a pas contesté les raisons pour lesquelles il avait été condamné à la réclusion à perpétuité par les arrêts nos 3244 et 3395/2003 de la cour d’assises d’Athènes, mais il a avancé des motifs nouveaux concernant son état de santé qui auraient pu justifier sa mise en liberté précoce. Par conséquent, l’article 5 § 4 de la Convention ne trouve pas application dans le cas d’espèce.

Au vu de ce qui précède, ce grief est incompatible ratione materiae avec l’article 5 § 4 de la Convention, et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4.

98.  Concernant le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour note tout d’abord que les allégations du requérant portent sur l’exécution de la peine imposée par les arrêts nos 3244 et 3395/2003 de la cour d’assises d’Athènes. Au demeurant, à supposer que l’article 6 § 1 soit applicable en l’espèce (voir Enea c. Italie [GC], no 74912/01, CEDH 2009-....), la Cour ne décèle aucun indice d’arbitraire dans le déroulement de la procédure, qui a respecté le principe du contradictoire et au cours de laquelle le requérant a eu la possibilité de présenter tous les arguments pour la défense de sa cause. En conclusion, la Cour estime que, considérée dans son ensemble, la procédure litigieuse a revêtu un caractère équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

99.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

100.  Pour le dommage moral, le requérant réclame 60 000 euros (EUR).

101.  Le Gouvernement considère ce montant excessif et estime que la somme allouée ne saurait dépasser 3 000 EUR.

102.  Compte tenu de la gravité de la violation constatée dans la présente affaire, la Cour estime que le requérant doit percevoir une indemnité pour le dommage moral subi (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, 6 mars 2001). Sur ce point, la Cour rappelle que le requérant fut condamné par les juridictions internes pour appartenance au groupe terroriste « 17 novembre » et participation à des actes criminels. De plus, ses multiples blessures et la détérioration conséquente de son état de santé tirent leur origine de l’explosion, le 29 juin 2002, d’une bombe entre ses mains lors des préparatifs d’un attentat. La Cour considère que ces éléments justifient d’octroyer au requérant une somme nettement inférieure à celle que la Cour a eu l’occasion d’accorder au titre du dommage moral dans d’autres affaires afférentes aux conditions de détention examinées sous l’angle de l’article 3 de la Convention (voir A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, §§ 251-253, CEDH 2009-..., et McCann et autres c. Royaume-Uni, 27 septembre 1995, § 219, série A no 324). Statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour alloue au requérant 1 000 EUR de ce chef, plus tout montant pouvant être dû à titre de l’impôt.

B.  Frais et dépens

103.  Le requérant demande également 2 300 EUR, sans produire de justificatifs, pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

104.  Le Gouvernement affirme que cette demande n’est pas étayée et invite la Cour à la rejeter.

105.  La Cour rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], n31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). Elle observe que les prétentions du requérant au titre des frais et dépens ne sont pas accompagnées des justificatifs nécessaires. Il convient donc d’écarter sa demande.

C.  Intérêts moratoires

106.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable en ce qui concerne le grief tiré de l’article 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit, par quatre voix contre trois, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3.  Dit, par quatre voix contre trois,

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 000 EUR (mille euros) pour le dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 septembre 2010 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Nina Vajić 
 Greffier Présidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente commune aux juges Jebens, Malinverni et Nicolaou.

N.A.V. 
S.N.

 
 

 

OPINION DISSIDENTE COMMUNE DES JUGES JEBENS, MALINVERNI ET NICOLAOU

Nous avons voté contre la violation de l’article 3 de la Convention dans cette affaire, pour les raisons suivantes.

1.  D’abord, nous constatons que, tout au long de son incarcération, les autorités compétentes ont offert au requérant un encadrement médical constant et effectué par un personnel médical provenant tant du dispensaire de la prison de Korydallos que, à titre principal, de l’extérieur. En particulier, s’agissant des problèmes auditifs, neurologiques et respiratoires du requérant, les autorités lui ont dispensé des soins médicaux adaptés à son état de santé. En ce qui concerne son ouïe, le requérant a subi une tympanoplastie qui, selon l’attestation médicale du 3 octobre 2006 délivrée par l’Hôpital général de Nikaia, avait amélioré son état auditif. De surcroît, les TDM et IRM effectuées, même avec un certain retard, pour examiner, respectivement, l’état auditif et neurologique du requérant n’ont pas révélé d’anomalies. Enfin, en ce qui concerne l’asthme chronique dont souffre le requérant, il ressort du dossier que celui-ci suit le traitement pharmaceutique prescrit pas ses médecins.

2.  S’agissant des problèmes de vue, nous relevons qu’au cours de son incarcération, le requérant a fait l’objet de plusieurs examens médicaux effectués par le personnel médical du dispensaire de la prison de Korydallos, de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital général d’Athènes, de l’Hôpital général de Nikaia, de la clinique ophtalmologique de l’hôpital public de Penteli ainsi que du médecin pathologiste G.M. Il est vrai que les avis des médecins traitants ne s’accordent pas toujours sur l’état de la vue du requérant et, en particulier, sur la question de savoir si et à quel degré celui-ci s’est détérioré au cours de son incarcération. Il ressort ainsi des certificats délivrés par le directeur de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital général d’Athènes que l’acuité visuelle du requérant est restée plus ou moins stable après les opérations chirurgicales intervenues en 2002 et 2003. En revanche, les rapports médicaux dressés entre 2005 et 2006 par le directeur de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital de Penteli font état d’une dégradation importante de la vue du requérant. D’ailleurs, ces conclusions sont corroborées tant par le certificat médical dressé le 5 juin 2008 par le médecin pathologiste G.M. que par le rapport rédigé par les médecins légistes I.B. et D.T. et soumis, le 9 août 2006, au tribunal de l’exécution des peines.

3.  A supposer même que la vue du requérant se soit détériorée au cours de son incarcération, cela n’aurait pas été suffisant pour entraîner automatiquement une violation de l’article 3 de la Convention. Ce qu’il importe de rechercher, est la question de savoir si les autorités nationales ont fait ce que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles, vu l’état de la vue du requérant au moment de son incarcération.

4.  Sur ce point, nous constatons que le requérant a fait l’objet d’un traitement médicalement encadré et effectué par un personnel médical spécialisé. En particulier, il a subi plusieurs opérations pour empêcher la dégradation de sa vue : en 2002, il a été opéré à deux reprises pour décollement de la rétine, traitement de la cataracte et ablation de l’huile de silicone. En 2003, il a subi une kératoplastie et en 2004 il a été à nouveau opéré pour ablation de silicone. Il ressort de son registre médical que les autorités pénitentiaires ont réagi avec diligence chaque fois que les médecins traitants ont demandé son transfert dans un hôpital externe. Ainsi, à titre d’exemple, le requérant a été transféré à l’Hôpital général d’Athènes pour y subir une opération en raison d’un décollement de la rétine le 24 décembre 2002, à savoir trois jours après son diagnostic par le médecin attaché au dispensaire de la prison de Korydallos.

5.  Nous notons également qu’au cours de l’incarcération du requérant, divers médecins spécialistes ont relevé la nécessité de son hospitalisation dans un centre ophtalmologique spécialisé, afin de faire l’objet d’un suivi médical systématique et continu, à savoir son admission à l’hôpital pour le temps requis par la nature de son traitement. En particulier, le 9 août 2006, les médecins légistes I.B. et D.T. ont soumis au tribunal de l’exécution des peines un rapport, ordonné par le procureur près le tribunal correctionnel du Pirée, sur l’état de santé du requérant et la nécessité de son hospitalisation « systématique ». Après avoir pris en compte les avis médicaux délivrés par les ophtalmologues qui avaient examiné le requérant, le rapport a conclu à la nécessité de son hospitalisation dans un centre ophtalmologique spécialisé afin de faire l’objet d’un suivi médical « systématique et continu ». Pour sa part, le tribunal correctionnel du Pirée, après avoir fait référence à l’expertise médicale soumise par les médecins I.B. et D.T., rejeta la demande de sursis à exécution de sa peine introduite par le requérant.

6.  Nous considérons qu’il n’incombe pas à la Cour de se prononcer, dans l’abstrait sur la manière dont le tribunal de l’exécution des peines aurait dû trancher la question de l’interruption provisoire de la peine du requérant. De surcroît, la décision no 5345/2006 du tribunal correctionnel du Pirée ne pêchait pas par manque de motivation ; ladite juridiction a explicitement relevé qu’elle avait accordé plus de poids à l’avis médical du directeur de la clinique ophtalmologique de l’Hôpital général d’Athènes, puisque celui-ci suivait régulièrement le requérant.

7.  Il convient en outre de ne pas perdre de vue que, suite à la visite qu’il effectua également en 2007 dans la prison de Korydallos, le CPT a conclu que la qualité des soins médicaux dispensés était inacceptable et que le service du dispensaire était en grande partie assuré par des détenus, qui tenaient le registre médical et secondaient le personnel médical (paragraphe 55). Or, nous relevons que le traitement du requérant a principalement eu lieu dans des centres médicaux situés en dehors de la prison de Korydallos, notamment à la clinique ophtalmologique de l’Hôpital général d’Athènes et à l’Hôpital général de Nikaia. De plus, il ne ressort pas du dossier que les autorités pénitentiaires aient eu à faire face à une situation d’urgence, par exemple à une détérioration soudaine de l’état de santé du requérant, à laquelle le dispensaire de la prison de Korydallos n’aurait pas pu répondre.

8.  En conclusion, nous considérons que les autorités nationales ont fait ce que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles, au vu de l’état de la vue du requérant au moment de son incarcération.


 

ARRÊT XIROS c. GRÈCE


 

ARRÊT XIROS c. GRÈCE 


 

ARRÊT XIROS c. GRÈCE – OPINION SEPAREE


 

ARRÊT XIROS c. GRÈCE – OPINION SÉPARÉE