CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE KHIDER c. FRANCE

(Requête no 39364/05)

ARRÊT

STRASBOURG

9 juillet 2009

DÉFINITIF

09/10/2009

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

 
 

 

En l’affaire Khider c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président, 
 Jean-Paul Costa, 
 Karel Jungwiert, 
 Renate Jaeger, 
 Mark Villiger, 
 Isabelle Berro-Lefèvre, 
 Mirjana Lazarova Trajkovska, juges, 
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 juin 2009,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 39364/05) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Cyril Khider (« le requérant »), a saisi la Cour le 31 octobre 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Me D. Boesel, avocate à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant alléguait une violation de l’article 3 de la Convention, en raison des conditions de détention et des mesures de sécurité qui lui étaient imposées et de l’article 13 de la Convention, en raison de l’absence d’un recours effectif pour contester ces mesures.

4.  Le 11 décembre 2007, la Cour a décidé de communiquer la requête. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1973 et actuellement incarcéré à la maison d’arrêt de Liancourt.

6.  Le requérant est détenu depuis le 27 août 2001 dans le cadre d’une information ouverte par le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Créteil pour des faits de vol en bande organisée avec arme, séquestration de personnes avec libération volontaire avant le septième jour, tentative d’homicide sur un fonctionnaire de l’administration pénitentiaire, association de malfaiteurs et concours à tentative d’évasion. Il lui est reproché d’avoir tenté de faire évader son frère, le 27 mai 2001, de la maison d’arrêt de Fresnes. Lors de ces événements, un hélicoptère de tourisme avait été intercepté et son pilote pris en otage par trois hommes armés, dont le requérant. Alors que l’appareil était en vol stationnaire au-dessus d’une cour de la maison d’arrêt, bloqué par les filins anti-évasion, un échange de tirs nourris avait éclaté entre les agents en poste dans les miradors et les occupants de l’hélicoptère. Un surveillant pénitentiaire avait été grièvement blessé au thorax lors de l’opération. Le frère du requérant et un autre détenu avaient ensuite pris en otage des surveillants pénitentiaires, sous la menace d’armes qui leur avaient été jetées depuis l’hélicoptère. Le commando extérieur avait pris la fuite et les détenus s’étaient rendus à l’issue des négociations menées par les policiers du service Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion (RAID).

7.  Dès son incarcération – le 27 août 2001 – le requérant fut inscrit au registre des « détenus particulièrement signalés » (DPS) par la direction de l’administration pénitentiaire. Il fut alors soumis à un régime de sécurité, comportant notamment des changements nombreux d’établissements, des séjours prolongés à l’isolement et des fouilles corporelles systématiques.

1.  Les transfèrements du requérant

8.  Le requérant fit l’objet de quatorze affectations entre son incarcération, le 27 août 2001 et le mois d’avril 2008.

9.  Initialement écroué à la maison d’arrêt de Toulouse (du 23 au 27 août 2001, en transit) puis conduit à la maison d’arrêt de Nanterre, le requérant fut transféré le 20 décembre 2001, à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, le 4 juin 2002, à la maison d’arrêt de Villepinte en Seine-Saint-Denis, le 5 mai 2003, à la maison d’arrêt d’Osny dans le Val d’Oise, le 8 novembre 2003, à la maison d’arrêt de Rouen, le 13 février 2004, à la maison d’arrêt de Nanterre, le 12 mai 2004, à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, le 22 novembre 2004, au centre pénitentiaire de Liancourt, le 16 décembre 2004, à la maison d’arrêt la Santé de Paris (en transit), le 24 décembre 2004, à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, le 2 août 2005, à la maison d’arrêt de Rouen, le 26 décembre 2005, à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes (pour une hospitalisation) et le 30 décembre 2005, à la maison d’arrêt des Yvelines, le 6 juin 2006, à la maison d’arrêt de la Santé de Paris, le 19 mars 2007 à la maison d’arrêt des Yvelines, le 5 septembre 2007, au centre de détention de Meaux Chauconin et depuis avril 2008 au centre de détention de Liancourt.

10.  Selon le requérant, certains de ces transferts seraient intervenus en application d’une note de service du 20 octobre 2003, du ministre de la Justice, relative à la gestion des détenus les plus dangereux incarcérés dans les maisons d’arrêt. Cette note prévoit que les détenus ayant pris part à une évasion ou tentative d’évasion « doivent faire l’objet de rotations de sécurité fréquentes ».

11.  Ainsi dans un rapport du 22 décembre 2004 au directeur régional des services pénitentiaires de Paris, le directeur de la maison d’arrêt des Hauts–de–Seine précisait que le problème posé par le requérant résidait moins dans son comportement que dans la « dégradation » de celui-ci, qui laissait envisager un passage à l’acte à l’égard des surveillants. Devant ce risque, le directeur de la maison d’arrêt concluait qu’une rotation de sécurité anticipée serait « désormais très opportune ».

2.  La mise à l’isolement du requérant

12.  Le requérant a passé plusieurs phases de sa détention dans les quartiers d’isolement de différents établissements

13.  Ecroué à la maison d’arrêt de Nanterre, le requérant effectua ses trois premiers mois et demi de détention à l’isolement. Conduit, le 4 juin 2002, à la maison d’arrêt de Villepinte, il fut d’abord maintenu en détention ordinaire, puis placé en isolement, le 5 novembre 2002. Le 5 mai 2003, il fut transféré à la maison d’arrêt d’Osny dans le Val d’Oise, où il demeura isolé, en raison de sa « participation à une tentative d’évasion par hélicoptère et usage d’armes à feu à Fresnes, au printemps 2001 » (décision du directeur régional de l’administration pénitentiaire, du 5 mai 2003), puis « par mesure d’ordre et de sécurité suite à [sa] participation à une tentative d’évasion par hélicoptère et usage d’armes à feu à Fresnes en 2001 » (décision du directeur régional de l’administration pénitentiaire, du 28 juillet 2003).

14.  Ecroué à Rouen, la mesure fut maintenue « par mesure d’ordre et de précaution compte tenu de sa tentative d’évasion de la maison d’arrêt de Fresnes en mai 2001 » (décision du directeur régional de l’administration pénitentiaire, du 15 novembre 2003).

15.  Le requérant resta trois mois, entre le 10 novembre 2003 et le 9 février 2004, au quartier disciplinaire parce qu’il refusait son maintien à l’isolement. Le directeur de l’établissement indiqua, dans un courrier du 10 décembre 2003 à sa hiérarchie que « dans [ces] conditions particulières, seul son maintien en cellule de discipline au-delà du maximum légal est de nature à prévenir un passage à l’acte violent de l’intéressé ».

16.  Le 12 mai 2004, à Fleury-Mérogis, les autorités pénitentiaires invoquèrent, outre les faits du printemps 2001, un « comportement agressif et menaçant à l’encontre des personnels qui conforte sa dangerosité potentielle ».

17.  A l’occasion d’une demande de délivrance d’un certificat médical, formulée par la direction de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, le docteur K. refusa d’attester de la compatibilité de la mesure d’isolement avec l’état de santé du requérant, dans un courrier du 27 juillet 2004, considérant que « l’intérêt du patient [était] bien loin des préoccupations motivant la demande ».

18.  Le 23 septembre 2004, le requérant contesta devant le tribunal administratif de Paris une décision du 6 août 2004 prescrivant son maintien en isolement. La décision indiquait que par mesure d’ordre et de précaution, compte tenu de sa tentative d’évasion de la maison d’arrêt de Fresnes en mai 2001, de la logistique dont il pourrait disposer pour tenter une évasion comme le prouvait l’expérience précédente pouvant mettre en péril l’intégrité physique des personnels pénitentiaires, de son attitude agressive envers le personnel, de ses menaces d’agression physique, ce qui confortait sa dangerosité, la prolongation de la mesure d’isolement apparaissait nécessaire.

19.  Le requérant saisit, le 23 septembre 2004, le tribunal d’une requête en référé-suspension, laquelle fit l’objet d’une intervention accessoire en soutien de l’Observatoire international des prisons (OIP). Le requérant faisait valoir que la condition d’urgence était remplie dès lors qu’il était placé à l’isolement depuis près de deux ans, que les conditions de détention s’aggravaient et que la mesure portait atteinte à son intégrité physique et psychologique. L’OIP soulignait que le requérant était « soumis à un régime d’incarcération particulièrement rude et dégradant ».

20.  Par une ordonnance du 29 septembre 2004, le juge des référés rejeta la demande, considérant que la condition d’urgence n’était pas remplie. Le juge considéra que le requérant n’apportait aucune justification de l’atteinte grave et immédiate à sa situation qui ne pouvait résulter de la seule existence de la mesure litigieuse ; en particulier, il n’avait produit aucun élément relatif à son état de santé physique et mental et à l’existence de troubles du comportement justifiant de l’urgence d’une suspension de la mesure malgré le fait que la décision ait été partiellement exécutée à la date de sa demande. La dégradation de son état de santé ne saurait être démontrée par les termes de la lettre d’un médecin exerçant au centre hospitalier sud-francilien et refusant d’établir un certificat médical à la demande de l’administration pénitentiaire dans le cadre de la procédure de prolongation d’isolement. Par ailleurs, les éléments contenus dans les propositions de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et les témoignages de détenus placés à l’isolement en général et à Fleury-Mérogis en particulier, ne sauraient à eux seuls établir l’existence d’une urgence de nature à suspendre la décision attaquée.

21.  Toutefois, par un jugement du 17 mars 2005, le tribunal administratif de Paris annula la mesure, au motif que la décision attaquée du 6 août 2004, présentait un caractère rétroactif contraire aux principes du droit administratif. Le tribunal estima que les troubles psychologiques allégués qui résulteraient du placement en isolement du requérant n’étaient pas établis. L’administration pénitentiaire avait déjà interrompu la mesure d’isolement le 16 décembre 2004, à l’occasion du transfert du requérant à la maison d’arrêt de la Santé de Paris.

22.  La mesure d’isolement fut de nouveau mise en œuvre à l’arrivée du requérant à la maison d’arrêt de Rouen, le 2 août 2005. La décision précisait que par mesure d’ordre et de sécurité, en application des articles D.283-1 et D.283-2 du code de procédure pénale (CPP), compte tenu de ses antécédents et de ses liens avec une organisation de grande criminalité, la tentative d’aide à l’évasion de son frère, depuis la maison d’arrêt de Fresnes en mai 2001, était révélatrice de la logistique dont il pourrait disposer pour projeter une nouvelle évasion. S’ajoutait à ce risque d’évasion, toujours actuel, son comportement agressif et perpétuellement contestataire. Les menaces de mort et d’agressions physiques envers le personnel attestaient de son extrême dangerosité et avaient donné lieu à de nombreuses sanctions disciplinaires. Ces graves incidents, son statut de prévenu ainsi que la lourdeur de la peine encourue, avaient entraîné son inscription au fichier des DPS et justifiaient son maintien à l’isolement en maison d’arrêt dans l’attente de son éventuelle condamnation et de son affectation en établissement pour peines.

23.  Le 24 novembre 2005, le requérant introduisit devant le tribunal administratif de Paris une requête tendant à suspendre l’exécution des décisions des 18 août et 2 novembre 2005 prolongeant son placement à l’isolement pour des périodes de trois mois. Il alléguait, entre autres, une violation des articles 3 et 8 de la Convention.

24.  Le 1er décembre 2005, le juge des référés, statuant en urgence, rejeta la requête du requérant. En ce qui concerne la demande de suspension de la décision du 18 août 2005, le juge estima qu’elle était dépourvue d’objet car la décision avait déjà épuisé ses effets. Quant à la demande de suspension de la décision du 2 novembre 2005, le juge conclut que la condition d’urgence (au sens de l’article L.521-1 du code de justice administrative) n’était pas remplie car le requérant, à l’appui de sa demande, ne faisait valoir que la durée de son placement à l’isolement.

25.  Par une lettre du 7 juin 2006, un médecin de la prison et du centre hospitalier Cochin informa la directrice adjointe de la maison d’arrêt de la Santé de Paris que le requérant présentait une pathologie somatique et un état psychologique instable avec des signes de décompensation d’ordre somatique (augmentation des signes cliniques) et des signes d’ordre psychiatrique (il parlait d’empoisonnement de sa nourriture). Le médecin précisait qu’il ne lui appartenait pas d’établir un diagnostic psychiatrique, mais qu’il était certain qu’un isolement aussi prolongé ne pouvait qu’entraîner des signes de type paranoïaque. Il concluait qu’il était nécessaire que le requérant bénéficie d’un suivi psychiatrique et qu’un avis compétent d’un médecin psychiatre soit donné afin de définir si le maintien à l’isolement était compatible avec les signes psychiatriques que présentait ce patient. Le même médecin réitéra cette dernière recommandation par une nouvelle lettre à la directrice adjointe, le 11 septembre 2006, en précisant que le requérant présentait des signes d’instabilité psychiatrique.

26.  Le 8 août 2006, le docteur P.A., chargé du suivi du requérant, constata que celui-ci présentait une pathologie invalidante de l’appareil musculo–squelettique, apparue depuis un an, dont l’authenticité était attestée par divers examens complémentaires permettant d’écarter toute simulation, et dont l’étiologie restait à ce jour indéterminée. Ce retentissement et l’évolution de cette pathologie semblaient nécessairement liés aux conditions de détention au quartier d’isolement. Il paraissait souhaitable que ces éléments de sa vie quotidienne puissent être améliorés sur le plan somatique et psychologique, par un assouplissement de son régime de détention.

27.  Au courant de l’été 2006, le requérant saisit le président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Il prétendait souffrir « de problèmes somatiques rhumatologiques, d’une maladie musculaire et de crises de paranoïa qui nécessitent un traitement, et qu’en raison de multiples transferts, un diagnostic approfondi n’a pu être fait, et les soins sans cesse interrompus ». Interrogée par le président de cette Commission, l’administration pénitentiaire diligenta une enquête administrative le 3 août 2006, au cours de laquelle le requérant et le médecin compétent, Mme B., furent entendus. Le médecin précisa que les examens pratiqués au fil du parcours pénitentiaire du requérant avaient pu conduire, en l’absence de connaissance des résultats des investigations médicales et biologiques, à des diagnostics tantôt favorables, tantôt pessimistes. Disposant désormais de la totalité des bilans médicaux, le médecin posa un diagnostic excluant toute pathologie grave. Il ajouta que le requérant était pris en charge régulièrement par les médecins, suivant un protocole de soins, et avait des entretiens réguliers avec un psychiatre.

28.  Par une lettre du 9 septembre 2006, le directeur de la maison d’arrêt la Santé informa l’état-major de la sécurité de la direction de l’administration pénitentiaire que le requérant avait du mal à se maintenir dans un régime d’isolement depuis la rupture qu’il avait connue en 2005 où pendant plusieurs mois il avait réintégré la détention classique, alors qu’il savait que, compte tenu de la nature des faits pour lesquels il était détenu, son retour en détention classique paraissait peu probable.

29.  Par une décision du 2 octobre 2006, le ministre de la Justice prolongea, du 6 octobre 2006 au 6 février 2007, le placement à l’isolement du requérant. Le 20 octobre 2006, ce dernier saisit le juge des référés d’une requête tendant à ordonner la suspension de la décision. Il invoquait, entre autres, l’urgence résultant de son état de santé, notamment psychiatrique, et la méconnaissance de la Convention européenne des droits de l’homme.

30.  Le 13 novembre 2006, le juge des référés rejeta la requête. Il considéra que si le requérant soutenait que sa mise à l’isolement prolongé avait causé la dégradation de son état de santé, consistant actuellement en une pathologie invalidante de l’appareil musculo–squelettique et en troubles psychiatriques, les certificats médicaux versés au dossier, s’ils attestaient de l’existence de ces troubles, ne suffisaient pas à établir qu’ils seraient d’une gravité telle qu’elle caractériserait une situation d’urgence, alors même que le requérant, qui avait vu un médecin à seize reprises depuis son arrivée à la maison d’arrêt de la Santé en juin 2006, n’avait pas souhaité continuer les consultations psychiatriques. Ainsi la condition d’urgence, qui devait s’apprécier globalement et au regard des exigences de l’ordre public, ne saurait être regardée comme remplie.

31.  Deux certificats médicaux établis les 21 décembre 2006 et 2 février 2007 par le médecin chef du service médico–psychologique régional chargé de la maison d’arrêt de la Santé indiquèrent que le requérant ne présentait pas d’antécédents psychiatriques ni de troubles psychiques particuliers mais faisait état d’une souffrance psychologique résultant de sa condition de détenu isolé et des transferts itératifs d’établissements rendant aléatoire tout projet de suivi psychologique.

32.  Le 26 janvier 2007, le Conseil d’Etat rejeta un recours en référé-suspension introduit par le requérant contre l’ordonnance du juge des référés. Il jugea qu’en appréciant concrètement, au vu de l’ensemble des circonstances de la demande qui lui était présentée, compte tenu des justifications apportées par le requérant et par l’administration, la gravité de l’ensemble des troubles invoqués par le requérant pour caractériser la situation d’urgence, le juge des référés n’avait commis aucune erreur de droit. Ce juge pouvait légalement tenir compte du comportement de l’intéressé et notamment de sa décision de ne plus recevoir de soins psychiatriques et son appréciation souveraine n’était entachée d’aucune dénaturation.

33.  Le 15 mars 2007, le tribunal administratif de Paris, statuant sur le recours du requérant, annula la décision susmentionnée du ministre, du 2 octobre 2006. Il releva que le requérant soutenait, sans être sérieusement contredit, que les informations dont l’administration disposerait quant à un projet d’évasion en préparation avec l’aide extérieure du réseau de banditisme auquel il appartiendrait, résultaient de dénonciations calomnieuses ou de renseignements imprécis dont le bien-fondé n’était pas établi. Il ressortait des pièces du dossier que si l’intéressé avait fait preuve d’un comportement agressif et violent ayant donné lieu à des poursuites disciplinaires dans le courant des années 2003 et 2004, son retour en détention normale le 16 décembre 2004 n’avait pas fait apparaître d’incompatibilité de son comportement avec les conditions d’une détention ordinaire. Enfin, la réalité des menaces qu’il aurait proférées à l’égard d’un médecin et d’un membre du personnel pénitentiaire en décembre 2005 n’avait jamais été établie dans le cadre d’une procédure disciplinaire. Dans ces conditions et eu égard à la dégradation de l’état de santé du requérant, établie par un certificat médical en date du 7 juin 2006 faisant état de l’apparition d’une pathologie somatique, le ministre de la Justice, en prolongeant le placement à l’isolement de l’intéressé, avait commis une erreur d’appréciation.

34.  Le tribunal administratif condamna également l’Etat à verser au requérant mille euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

35.  Le ministère de la Justice interjeta appel contre la décision du tribunal administratif.

36.  Par une ordonnance du 1er avril 2008, le juge des référés du tribunal administratif de Melun fit droit à une requête en référé–suspension du requérant dirigée contre une sanction disciplinaire de trente jours de mise en isolement. Le juge releva que, si le comportement difficile du requérant créait à l’administration pénitentiaire des contraintes particulières pour maintenir le bon ordre à l’intérieur du centre de détention, il y avait lieu de prendre en compte également la gravité des effets d’une mise en cellule disciplinaire pendant une durée de trente jours sur la santé physique et mentale d’une personne soumise à un tel traitement. Le juge nota que le représentant de la section française de l’OIP avait rappelé à l’audience que le requérant, qui avait fait l’objet d’isolement pour de longues durées durant son incarcération, avait développé à l’intérieur de la prison une pathologie invalidante et une pathologie psychiatrique qui pouvaient être rattachées aux conditions particulières d’incarcération. Dans ces conditions, le requérant était fondé à soutenir que sa mise en cellule disciplinaire pour une durée aussi longue portait une atteinte grave et immédiate à sa situation.

3. Les fouilles corporelles

37.  Le requérant avait été soumis, à différentes périodes de sa détention, à un régime systématique de fouilles corporelles, applicable à des détenus particulièrement signalés (lors de ses séjours dans les établissements pénitentiaires de Villepinte, Liancourt, Nanterre et des Yvelines). A Rouen, les fouilles se limitaient à des palpations de sécurité, le détenu restant habillé.

38.  Selon le requérant, en représailles aux blessures infligées à un surveillant par les membres du commando lors de la tentative d’évasion, il fit constamment l’objet tant de brimades de la part des personnels pénitentiaires que de pressions verbales, pouvant aller jusqu’aux menaces de mort, ou d’actes destinés à l’empêcher de dormir la nuit, tels que des coups portés sur la porte de sa cellule ou le maintien prolongé de la lumière à l’occasion des rondes nocturnes.

39.  Le 9 juillet 2004, le requérant fut cité devant la commission de discipline de l’établissement pour avoir refusé de se soumettre à une fouille, mais il refusa d’y comparaître. Il fut condamné à une sanction de quinze jours de cellule disciplinaire, en vertu de l’article D.249-2(1) du code de procédure pénale (faute disciplinaire du deuxième degré – « proférer des insultes ou des menaces à l’égard d’un membre du personnel de l’établissement »). L’exposé des faits dans la décision de sanction relevait que le 30 juin 2004 à 11 h 20, il avait été nécessaire d’utiliser la force stricte et nécessaire pour procéder à la fouille réglementaire, car le requérant refusait de s’y soumettre et qu’à l’issue de celle-ci, il avait menacé le surveillant en ces termes : « dehors je te retrouverai, j’aurai une cagoule et je te fumerai toi, ta femme et tes enfants ».

40.  Le 5 novembre 2004, le requérant porta plainte auprès du procureur de la République d’Evry concernant la fouille du 30 juin 2004. Il alléguait qu’à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, alors qu’il arrivait au quartier disciplinaire pour y purger une sanction de quinze jours, il fut mis à nu devant une dizaine de surveillants présents dans la salle destinée à la fouille. Le surveillant aurait alors tenté de lui écarter les fesses, ce que le requérant aurait refusé de faire. Plusieurs agents se seraient alors précipités sur le requérant et l’un d’entre eux lui aurait écarté les fesses avec un gant. Selon le requérant, d’autres personnes incarcérées avaient eu à se plaindre de telles fouilles et avaient déposé plainte auprès du parquet d’Evry. Le 27 janvier 2005, le procureur classa sans suite la plainte, après avoir recueilli les observations écrites du chef d’établissement. Par un courrier adressé au procureur d’Evry, le directeur adjoint de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis indiqua que l’usage de la force était justifié par le refus de l’intéressé de se soumettre à la fouille. Il précisa que « au vu du profil pénal de l’intéressé (DPS, isolé total) et dans un souci de sécurité, la fouille intégrale s’avérait indispensable ». Il contesta cependant le fait que les agents avaient touché ou écarté les fesses du requérant.

41.  Le 14 juin 2005, le requérant déposa une plainte contre X avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance d’Evry pour agression sexuelle commise par une personne qui abuse de l’autorité que lui confère ses fonctions. Le 8 décembre 2005, le juge d’instruction rendit une ordonnance de dispense de consignation, constatant que le requérant bénéficiait de l’aide juridictionnelle. Une information fut ouverte le 15 décembre 2005.

42.  Le 27 mars 2006, lors de son audition par le juge d’instruction, le requérant reconnut qu’il n’avait pas voulu se plier à la fouille préalable à son entrée dans le quartier disciplinaire. Il prétendit qu’il avait été maintenu au sol, ses jambes avaient été soulevées et, sur ordre du surveillant en chef, un surveillant lui aurait écarté les fesses puis il aurait été immédiatement relâché, toujours sur ordre du surveillant en chef. D’après le Gouvernement, l’ensemble des surveillants, entendus entre les 9 juin et 20 septembre 2006 dans le cadre de l’information, aurait contesté cette version des faits indiquant que seules les jambes du requérant avaient été écartées de force.

43.  Le 24 juillet 2007, le ministère public fit des réquisitions aux fins d’un non-lieu général, au motif qu’il ne résultait pas de l’information des charges suffisantes contre quiconque d’avoir commis le délit d’agression sexuelle par personne ayant autorité, l’ensemble des personnels interrogés confirmant l’application stricte des consignes face à un détenu récalcitrant, signalé dangereux.

44.  Par une ordonnance du 16 octobre 2007, le juge d’instruction dit n’y avoir lieu à suivre. Il rejeta d’abord une demande d’acte pour obtenir le versement de pièces nouvelles ainsi qu’une confrontation entre la partie civile et les surveillants. Il releva que les auditions réalisées auprès du personnel pénitentiaire mis en cause s’avéraient concordantes, notamment sur le fait que seules les jambes du requérant et non ses fesses avaient fait l’objet de l’écartement prévu par l’article D.275 du code de procédure pénale. De plus, il rejeta l’allégation du requérant d’avoir subi une agression sexuelle, au motif que cette infraction incluait une dimension d’atteinte sexuelle avec un élément dolosif intentionnel, ce qui n’existait pas en l’espèce. Enfin, il condamna le requérant à une amende civile de 1 000 euros pour constitution abusive.

45.  Le 19 février 2008, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris confirma cette ordonnance. Elle releva que les surveillants avaient non seulement le droit de procéder à la fouille intégrale contestée mais le devoir de le faire, la famille du détenu ne manquerait pas de déposer plainte si un suicide intervenait en cellule disciplinaire au moyen d’un objet qui aurait été dissimulé et non retrouvé en raison d’une fouille incomplète. Elle conclut que la fouille ne pouvait pas être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant en raison de l’attitude du détenu et des impératifs de sécurité qui étaient mis à la charge des établissements pénitentiaires. Enfin, elle releva qu’aucun acte d’instruction n’était en mesure de résoudre les contradictions qui existaient entre les déclarations des surveillants et celles du requérant.

46.  Le 29 février 2008, le requérant se pourvut en cassation. Le pourvoi est encore pendant devant la Cour de cassation.

4.  La condamnation du requérant

47.  Le 17 mars 2007, le requérant fut condamné à dix ans de réclusion criminelle pour vol en bande organisée avec usage ou menace d’une arme, séquestration avec libération volontaire avant le septième jour pour préparer ou faciliter la commission d’un délit, transport et détention d’armes de poing de première catégorie, violences volontaires ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours, avoir procuré à deux détenus les moyens de se soustraire à la garde à laquelle ils étaient soumis par la fourniture d’armes.

48.  En avril 2008, il fut transféré au centre de détention de Liancourt.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

 1.  La mise à l’isolement

a) Le code de procédure pénale

49.  L’article D.283-1 dans sa rédaction issue du décret du 23 mars 2006 applicable à compter du 1er juin 2006 dispose :

« Tout détenu peut être placé à l’isolement par mesure de protection ou de sécurité, soit sur sa demande, soit d’office.

La décision de placement à l’isolement est prise pour une durée de trois mois maximum.

Elle peut être renouvelée pour la même durée. Il peut être mis fin à la mesure d’isolement à tout moment par l’autorité qui a pris la mesure ou qui l’a prolongée, d’office ou à la demande du détenu.

Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures, il est tenu compte de la personnalité du détenu, de sa dangerosité particulière et de son état de santé. »

Le même article, dans son ancienne version, disposait :

« Tout détenu se trouvant dans un établissement ou quartier en commun peut soit sur sa demande, soit par mesure de précaution ou de sécurité, être placé à l’isolement.

La mise à l’isolement est ordonnée par le chef de l’établissement qui rend compte à bref délai au directeur régional et au juge de l’application des peines. Le chef de l’établissement fait en outre rapport à la commission de l’application des peines dès la première réunion suivant la mise à l’isolement ou le refus opposé à la demande d’isolement du détenu.

(...)

La durée de l’isolement ne peut être prolongée au-delà de trois mois sans qu’un nouveau rapport ait été fait devant la commission de l’application des peines et sans une décision du directeur régional.

La mesure d’isolement ne peut être prolongée au-delà d’un an à partir de la décision initiale que par décision du ministre de la Justice, prise sur rapport motivé du directeur régional qui recueille préalablement les avis de la commission de l’application des peines et du médecin intervenant à l’établissement.

(...) »

50.  L’article D.283-1-7 du même code précise :

« Lorsque le détenu est à l’isolement depuis un an à compter de la décision initiale, le ministre de la Justice peut, par dérogation à l’article D.283-1, décider de prolonger l’isolement pour une durée de quatre mois renouvelable.

La décision est prise sur rapport motivé du directeur régional qui recueille préalablement les observations du chef d’établissement et l’avis écrit du médecin intervenant à l’établissement.

L’isolement ne peut être prolongé au-delà de deux ans sauf, à titre exceptionnel, si le placement à l’isolement constitue l’unique moyen d’assurer la sécurité des personnes ou de l’établissement.

Dans ce cas, la décision de prolongation doit être spécialement motivée. »

51.  Selon l’article D.283-5 :

« Le personnel de l’administration pénitentiaire ne doit utiliser la force envers les détenus qu’en cas de légitime défense, de tentative d’évasion ou de résistance par la violence ou par inertie physique aux ordres données.

Lorsqu’il y recourt, il ne peut le faire qu’en se limitant à ce qui est strictement nécessaire. »

52.  L’article D.381 est formulé en ces termes :

« Les médecins chargés des prestations de médecine générale dans les structures visées aux articles D. 368 et D. 371 assurent des consultations médicales, suite à des demandes formulées par le détenu ou, le cas échéant, par le personnel pénitentiaire ou par toute autre personne agissant dans l’intérêt du détenu.

Ces médecins réalisent en outre :

a) Un examen médical systématique pour les détenus venant de l’état de liberté ;

b) Les visites aux détenus placés au quartier disciplinaire dans les conditions prévues à l’article D. 251-4, chaque fois que ces médecins l’estiment nécessaire et en tout cas deux fois par semaine au moins ;

c) Les visites aux détenus placés à l’isolement, dans les conditions prévues à l’article D. 283-1-3, chaque fois que ces médecins l’estiment nécessaire et en tout cas deux fois par semaine au moins ;

d) L’examen des détenus sollicitant des attestations relatives à une inaptitude au travail pour raison médicale ;

e) L’examen médical des détenus sollicitant une attestation relative à la pratique d’une activité sportive ;

f) L’examen des détenus sollicitant pour raison médicale un changement d’affectation ou une modification ou un aménagement quelconque de leur régime de détention.

Ces médecins veillent à ce que la continuité des soins soit assurée à l’occasion des transfèrements des détenus. »

53.  Dans son avis no 94 relatif à la santé et la médecine en prison du 13 décembre 2006, le Comité consultatif national d’éthique relevait que l’article susmentionné conduisait à un problème d’éthique médicale, liée à la confusion entre le rôle du médecin comme soignant au service du patient et comme expert au service de l’administration pénitentiaire. Une véritable relation de confiance entre le médecin et le patient ne pouvait pas s’établir si le même médecin était à la fois celui qui écoutait et soignait le patient et celui qui autorisait la poursuite d’une sanction disciplinaire qui pouvait mettre en jeu la santé mentale du détenu.

54.  La circulaire d’application du décret du 21 mars 2006 modifiant le code de procédure pénale et relatif à l’isolement des détenus précise que la mise à l’isolement doit procéder de raisons sérieuses et d’éléments objectifs et concordants permettant de redouter des incidents graves de la part du détenu concerné ou dirigés contre lui. La seule référence à l’appartenance au grand banditisme, ou à un risque d’évasion, non-étayé, est insuffisante. De même, le classement d’un détenu au registre des détenus particulièrement signalés ou la commission d’une faute disciplinaire même grave ne peuvent justifier à eux seuls un placement à l’isolement. La mise à l’isolement ne constitue pas une mesure disciplinaire. En cas de transfert suivi d’une nouvelle décision de placement à l’isolement, il convient notamment de rappeler dans la motivation en quoi le transfert n’a pas été suffisant pour assurer la sécurité des personnes ou l’établissement. L’isolement ne peut être prolongé au-delà de deux ans sauf s’il constitue l’unique moyen d’assurer la sécurité des personnes ou de l’établissement. Dans ce cas, la décision de prolongation doit être spécialement motivée.

b) Le code de justice administrative

55.  L’article L.521-1 de ce code dispose :

« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) »

c) La jurisprudence

56.  Par un arrêt du 30 juillet 2003 dans l’affaire Garde des Sceaux, ministre de la Justice c. Remli (req. 252712), le Conseil d’Etat a confirmé un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 5 novembre 2002 et modifié sa jurisprudence en la matière. Il statua comme suit :

« Considérant qu’il ressort des dispositions ci-dessus et des pièces du dossier soumises au juge du fond que la mise à l’isolement, par sa nature même, prive la personne qui en fait l’objet de l’accès à celles des activités sportives, culturelles, d’enseignement, de formation et de travail rémunéré qui sont proposées de façon collective aux autres détenus ; qu’une telle mesure peut être prononcée pour une durée qui peut atteindre trois mois et être prolongée ; que, dans ces conditions, et alors même que l’article D. 283-2 du code de procédure pénale dispose que la mise à l’isolement ne constitue pas une mesure disciplinaire. Les détenus qui en font l’objet sont soumis au régime ordinaire de détention, le placement à l’isolement d’un détenu contre son gré constitue, eu égard à l’importance de ses effets sur les conditions de détention, une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ; que dès lors, le Garde des sceaux, ministre de la Justice n’est pas fondé à soutenir que la cour administrative d’appel aurait commis une erreur de droit en jugeant que M. Remli était recevable à déférer au juge administratif, par la voie de l’excès de pouvoir, la décision par laquelle le directeur de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy a décidé qu’il serait mis à l’isolement ;

Considérant que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la mise à l’isolement est au nombre des décisions qui doivent être motivées en application de l’article premier de la loi du 11 juillet 1979 ; qu’en estimant que la décision attaquée n’était pas suffisamment motivée, la cour administrative d’appel de Paris s’est livrée à une appréciation souveraine qui, en l’absence de dénaturation, ne peut être contestée devant le juge de cassation ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le Garde des sceaux, ministre de la Justice n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner l’Etat à payer à M. Remli la somme de 2 300 euros qu’il demande au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; »

d) Les instructions du 18 avril 2003 concernant le renforcement des mesures de sécurité lors du placement de détenus dangereux sous le régime de l’isolement

57.  Par ces instructions, le ministre de la Justice appelait l’attention des services pénitentiaires sur ce qui suit :

« A la suite des incidents récents survenus dans les établissements pénitentiaires, je considère indispensable de rappeler et préciser les termes de la circulaire citée en référence [à savoir note no 000702 du 14 décembre 1998] en ce qui concerne les mesures de sécurité à mettre en œuvre au sein des quartiers d’isolement hébergeant des détenus dangereux.

1. en ce qui concerne le régime de détention applicable aux détenus isolés :

Il appartient au chef d’établissement d’apprécier la dangerosité des détenus placés sous le régime de l’isolement. Il dispose à cet effet de plusieurs sources d’informations (...).

Lorsqu’un détenu est identifié comme dangereux en raison notamment de son appartenance au grand banditisme ou à une mouvance terroriste ou de son passé judiciaire et pénitentiaire, il convient de prendre des dispositions particulières pendant la durée de son séjour à l’isolement.

– L’organisation des promenades :

Les détenus dangereux doivent impérativement être placés dans une cour. Par ailleurs les promenades de ces détenus devront être organisées selon des tours et des horaires variables. Lorsque l’établissement dispose de plusieurs cours, il importe d’alterner de façon irrégulière l’occupation de ces espaces afin de rendre plus complexe la réalisation d’une évasion.

Je tiens à rappeler qu’aucune activité ne doit être organisée dans les cours de promenade. Aucun matériel ou équipement ne doit y être entreposé.

– Le suivi des activités :

Les détenus considérés comme dangereux ne doivent pas être autorisés à se regrouper lors des activités. Il est souhaitable de privilégier les activités individuelles et l’enseignement à distance.

Je rappelle que ces détenus ne doivent en aucun cas participer aux activités organisées pour le reste de la population pénale.

– Le contrôle des mouvements :

A chaque entrée ou sortie de la cellule, le détenu doit être fouillé par palpations par le surveillant en poste dans le quartier. Des fouilles à corps fréquentes doivent également être organisées. Il est souhaitable qu’un gradé supervise ces opérations.

Tout détenu dangereux doit être accompagné par un agent au moins pendant ses déplacements à l’intérieur de l’établissement (UCSA, parloirs etc.).

– La fouille des locaux :

L’ensemble des locaux doit faire l’objet de fouilles plus fréquentes et plus approfondies que celles habituellement organisées dans la détention ordinaire. Le planning et le suivi de ces opérations doivent être suivis avec la plus grande attention par le chef d’établissement.

2. en ce qui concerne le renforcement des cours de promenade :

– installation d’un barreaudage quadrillé en acier renforcé. Il devra être solidement ancré pour résister à une tentative d’arrachement par hélicoptère.

– Mise en place sous le barreaudage d’un métal déployé à mailles suffisamment fines pour rendre difficile la récupération d’objets par le détenu isolé ;

(...) »

58.  En ce qui concerne d’autres textes relatifs à la mise en isolement, et notamment la circulaire du 8 décembre 1998, la Cour renvoie au droit interne pertinent décrit dans l’arrêt Ramirez Sanchez c. France ([GC], no 59450/00, §§ 80–81, CEDH 2006-IX).

e) Extraits du rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) du 11 mars 2004

59.  Dans son rapport du 11 mars 2004, la CNCDH relevait ce qui suit au sujet de la mise à l’isolement de détenus :

« En dehors des règles de compétence concernant les décisions de prolongation de la mesure, aucune durée maximale de l’isolement n’est prévue par le Code. Les détenus peuvent, par conséquent, être soumis à ce régime pendant plusieurs années. (...) Cette mesure produit notoirement des effets délétères sur l’état physique et psychique des détenus qu’elle vise. Elle se traduit par une absence quasi complète de contact avec autrui. Les praticiens hospitaliers exerçant en milieu pénitentiaire constatent sa nocivité sur le plan médical : altération des sens, déstabilisation des repères spatio-temporels, décompensation psychologique. A tel point que le personnel soignant la dénomme « torture blanche ». La commission d’enquête de l’Assemblée nationale note à cet égard que « les conséquences désocialisantes et psychiquement déstructurantes d’une décision de mise à l’isolement ont été à la fois dénoncées par les interventions de l’administration pénitentiaires et constatées lors des visites (...).

La CNCDH recommande l’intervention du législateur sur ce point. D’autant plus que, s’agissant des conditions d’existence au sein du quartier d’isolement, il apparaît qu’elles se sont durcies (...). Une note de l’administration pénitentiaire du 18 avril 2003 a remis en cause les adaptations que les chefs d’établissements avaient jusque–là souvent apportées au régime d’isolement, pour humaniser le quotidien des isolés. La note rappelle « qu’aucune activité ne doit être organisée dans les cours de promenade. Aucun matériel ou équipement ne doit y être entreposé ». Elle affirme que « les détenus dangereux doivent impérativement être placés seuls dans une cour. Ils ne doivent pas être autorisés à se regrouper lors des activités ». (...) Concernant les aménagements des cours de promenade du quartier d’isolement, la note prévoit « l’installation d’un barreaudage quadrillé en acier renforcé ; la mise en place sous le barreaudage d’un métal déployé à mailles suffisamment fines pour rendre difficile la récupération d’objets par le détenu isolé ; des rouleaux de concertina de type « detainer » disposés au dessus du barreaudage quadrillé en rangs serrés ». Dans ces conditions, le détenu isolé voit son champ de vision réduit à l’extrême, au-delà du supportable. Les portes, les murs, les grillages fixent des distances toujours courtes et toujours identiques. L’environnement et l’écoulement du temps, parfaitement monotones, contraignent le détenu à un « surplace » mortifiant. Il en résulte un sentiment d’écrasement fortement déstructurant. »

2.  Les fouilles corporelles

a) Le code de procédure pénale

60.  L’article D.275 dispose :

« Les détenus doivent être fouillés fréquemment et aussi souvent que le chef de l’établissement l’estime nécessaire.

Ils le sont notamment à leur entrée dans l’établissement et chaque fois qu’ils en sont extraits et y sont reconduits pour quelque cause que ce soit. Ils « doivent également faire l’objet » d’une fouille avant et après tout parloir ou visite quelconque.

Les détenus ne peuvent être fouillés que par des agents de leur sexe et dans des conditions qui, tout en garantissant l’efficacité du contrôle, préservent le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. »

En vertu de l’article D.406 :

« (...)

L’accès au parloir implique, outre la fouille des détenus avant et après l’entretien, les mesures de contrôle jugées nécessaires à l’égard des visiteurs, pour des motifs de sécurité. »

61.  D’autres dispositions du code de procédure pénale prévoient la fouille des détenus à leur arrivée dans l’établissement (article D. 284), avant transfèrement ou extraction (article D. 294).

62.  Constitue une faute disciplinaire des deuxième et troisième degrés, respectivement, le fait pour un détenu de refuser de se soumettre à une mesure de sécurité définie par les règlements et instructions de service (article D. 249-2 6o du code de procédure pénale) et le fait de refuser d’obtempérer aux injonctions des membres du personnel de l’établissement (article D. 249-3 4o du code de procédure pénale).

63.  L’article D. 283-5 du code de procédure pénale prévoit que le personnel de l’administration pénitentiaire ne doit utiliser la force envers les détenus qu’en cas de légitime défense, de tentative d’évasion ou de résistance par la violence ou par l’inertie physique aux ordres donnés et que lorsqu’il y recourt, il ne peut le faire qu’en se limitant à ce qui est strictement nécessaire.

b) La circulaire du 14 mars 1986

64.  Cette circulaire précise les modalités d’application et de mise en œuvre des prescriptions du code de procédure pénale. Selon cette circulaire :

« L’agent, après avoir fait éloigner le détenu de ses effets, procède à sa fouille corporelle selon l’ordre suivant. Il examine les cheveux de l’intéressé, ses oreilles et éventuellement l’appareil auditif, puis sa bouche en le faisant tousser mais également en lui demandant de lever la langue et d’enlever, si nécessaire, la prothèse dentaire. Il effectue ensuite le contrôle des aisselles en faisant lever et baisser les bras avant d’inspecter les mains en lui demandant d’écarter les doigts. L’entrejambe d’un individu pouvant permettre de dissimuler divers objets, il importe que l’agent lui fasse écarter les jambes pour procéder au contrôle. Dans le cas précis des recherches d’objet ou de substance prohibés, il pourra être fait obligation au détenu de se pencher et de tousser. Il peut également être fait appel au médecin qui appréciera s’il convient de soumettre l’intéressé à une radiographie ou un examen médical afin de localiser d’éventuels corps étrangers. Il est procédé ensuite à l’examen des pieds du détenu et notamment de la voûte plantaire et des orteils. »

65.  La même circulaire prévoit qu’une telle fouille est pratiquée systématiquement à l’occasion de l’entrée ou la sortie des détenus de l’établissement pénitentiaire. Elle doit également être effectuée à l’issue de la visite de toute personne (parents, amis, avocats) ou avant tout placement en cellule d’isolement ou de punition. Enfin, des fouilles inopinées peuvent être décidées par le chef d’établissement.

66.  S’agissant d’un détenu particulièrement signalé, les services pénitentiaires appliquent strictement l’instruction. A cet égard, une note de la direction de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, du 15 mai 2003, prévoit que ces détenus sont soumis à une fouille intégrale systématique dans les cas suivants :

« Avant toute visite dans les locaux parloirs familles et parloirs avocats quelle que soit la qualité de la personne souhaitant rencontrer le détenu.

Après toute visite dans les locaux et parloirs familles et parloirs avocats quelle que soit la qualité de la personne ayant visité le détenu, à l’entrée du bâtiment de détention et avant toute sortie du bâtiment de détention quel que soit le motif (extractions, consultations extérieurs, transferts, libérations, mouvements inter-tripales etc.) au service de la fouille avant toute sortie de l’établissement et au retour de l’établissement quel que soit le motif. »

c) La jurisprudence

67.  Par un arrêt du 12 mars 2003 dans l’affaire Frérot (ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour Frérot c. France (no 70204/01, 12 juin 2007)), le Conseil d’Etat a jugé que les fouilles corporelles n’étaient pas contraires à l’article 3 de la Convention. Le Conseil d’Etat jugea ainsi :

« Considérant que, en s’opposant à la mesure de fouille prévue par les articles D.275 et D.406 du code de procédure pénale, M. Frérot s’est rendu coupable d’une faute disciplinaire du deuxième degré, laquelle pouvait légalement faire l’objet (...) d’une mise en cellule disciplinaire dans les conditions prévues aux articles D.251-3 et D.251-4 du même code.

Considérant que, compte tenu des mesures prévues pour protéger l’intimité et la dignité des détenus, et eu égard aux contraintes particulières afférentes au fonctionnement des établissements pénitentiaires, la sanction prise à l’encontre de M. Frérot à la suite des faits sus décrits n’a pas méconnu les stipulations de l’article 3 de la Convention européenne (...) ; que cette sanction était, eu égard au comportement de M. Frérot et à la gravité des actes antérieurement commis par lui, nécessaire pour la défense de l’ordre public ; que, dans ces conditions, elle n’a pas été prise en méconnaissance de l’article 8 de la Convention européenne (...) ;

Considérant que, eu égard notamment aux antécédents de l’intéressé, qui avait déjà refusé de se soumettre à une mesure de sécurité lors d’une fouille en mars 1996, la sanction de huit jours de mise en cellule disciplinaire infligée à (...), alors que la sanction maximale est de trente jours, n’est pas disproportionnée par rapport à la faute commise (...) »

68.  Le Conseil d’Etat avait déjà jugé, dans deux arrêts du 8 décembre 2000 (Mouesca et Frérot), que la circulaire du 14 mars 1986 ne portait pas « une atteinte disproportionnée au principe posé à l’article 3 de la Convention européenne (...), ni ne méconnaissait les dispositions de l’article D.275 du code de procédure pénale en vertu desquelles les fouilles des détenus doivent être effectuées « dans des conditions qui (...) préservent le respect inhérent à la dignité humaine ».

69.  Par un jugement du 14 décembre 2006, le tribunal administratif de Limoges a estimé que l’administration pénitentiaire avait commis une faute en plaçant un détenu en quartier disciplinaire suite à une fouille à corps effectuée en présence d’autres détenus, et a condamné l’Etat à verser des dommages-intérêts.

70.  Par une ordonnance du 18 juin 2008, le président du tribunal administratif de Nantes rendit une ordonnance de dispense d’instruction, considérant que lorsqu’il apparaissait au vu de la requête que la solution de l’affaire était certaine, le président pouvait décider qu’il n’y avait pas lieu à instruction. Informant le jour même l’avocat du détenu, il s’exprimait ainsi :

« (...) j’ai l’honneur de vous informer que le tribunal est susceptible (...) de soulever d’office le moyen suivant : « La décision de fouiller un détenu prise sur le fondement de l’article D.275 du code de procédure pénale, ne présente pas le caractère d’une décision susceptible de recours. »

3.  La mise en cellule disciplinaire

71.  Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale se lisent ainsi :

Article D.251-3

« La mise en cellule disciplinaire prévue par l’article D.251(5) consiste dans le placement du détenu dans une cellule aménagée à cet effet et qu’il doit occuper seul. La sanction emporte pendant toute sa durée la privation d’achats en cantine (...) ainsi que la privation des visites et de toutes les activités.

Toutefois, les détenus placés en cellule disciplinaire font une promenade d’une heure par jour dans une cour individuelle. La sanction n’emporte en outre aucune restriction à leur droit de correspondance écrite.

La durée de la mise en cellule disciplinaire ne peut excéder quarante-cinq jours pour une faute disciplinaire du premier degré, trente jours pour une faute disciplinaire du deuxième degré et quinze jours pour une faute disciplinaire du troisième degré.

(...) »

Article D.251-4

« La liste des personnes présentes au quartier disciplinaire est communiquée quotidiennement à l’équipe médicale. Le médecin examine sur place chaque détenu au moins deux fois par semaine, et aussi souvent qu’il l’estime nécessaire. La sanction est suspendue si le médecin constate que son exécution est de nature à compromettre la santé du détenu. »

4.  Les transfèrements et les rotations de sécurité :

72.  L’article D.296 du code de procédure pénale dispose :

« Pour l’observation des principes posés à l’article D295, comme pour la sécurité des opérations, l’exécution des transfèrements et extractions doit être préparée et poursuivie avec la plus grande discrétion quant à la date et à l’identité des détenus en cause, au mode de transport, à l’itinéraire et au lieu de destination. (...) »

73.  Depuis l’arrêt Kayanakis, rendu par le Conseil d’Etat le 8 décembre 1967, les décisions de transfèrement administratif n’étaient pas considérées comme des actes administratifs faisant grief, mais rentraient dans la catégorie des mesures d’ordre intérieur, qui n’étaient pas susceptibles de recours juridictionnel. Le détenu pouvait contester un transfèrement auprès de l’autorité qui l’avait ordonné (recours gracieux) ou de l’autorité supérieure (recours hiérarchique).

74.  Le Conseil d’Etat a confirmé l’arrêt susmentionné par un arrêt Glaziou du 23 février 2000 (req. no 155607). La cour administrative d’appel de Paris s’est conformée à cette position par l’arrêt Dubreucq, du 31 décembre 2003.

75.  Le 20 octobre 2003, le ministre de la Justice a adopté une note de service, intitulée « Note relative à la gestion des détenus les plus dangereux incarcérés dans les maisons d’arrêt », instituant un régime de rotation de sécurité. Le but de la note était de perturber les auteurs des tentatives d’évasions et leurs complices dans la préparation et la réalisation de leurs projets.

76.  Le requérant a produit plusieurs décisions des juridictions administratives qui ont débouté des détenus qui avaient contesté leurs transferts en cascade, refusant d’admettre l’existence du régime de rotation de sécurité : jugement du tribunal administratif de Dijon du 3 juin 2003 (Salem Azaiza c. ministre de la Justice), ordonnance de référé du tribunal administratif de Toulouse du 10 avril 2006 (Alboréo), ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 25 mai 2007 (Pascal Payet).

77.  Le 19 décembre 2005, la cour administrative d’appel de Paris, siégeant en formation plénière, a décidé (dans l’affaire B.) de censurer l’ordonnance du juge de première instance, qui rejetait le recours d’un détenu au motif que le transfert de celui-ci constituait une mesure d’ordre intérieur. La cour administrative d’appel a annulé la décision de transfert au motif qu’elle « constitue un acte administratif susceptible de recours pour excès de pouvoir, et non, comme l’a décidé le premier juge, une simple mesure d’ordre intérieur ». Elle a non seulement considéré que la requête était recevable, mais elle a aussi prononcé l’annulation sur le fond, car le ministre de la Justice avait décidé d’affecter discrétionnairement le condamné B. dans une maison d’arrêt alors qu’il relevait d’une maison pour peines.

78.  Par un arrêt du 14 décembre 2007 (no 290730, Pascal Payet), le Conseil d’Etat a statué ainsi :

« Considérant que, s’il n’existe pas une décision formalisée de soumettre M. Payet à des « rotations de sécurité », il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond qu’une note du 20 octobre 2003 du garde des Sceaux, ministre de la Justice relative à la gestion des détenus les plus dangereux incarcérés dans les maisons d’arrêt prévoit l’existence de « rotations de sécurité », consistant notamment en des changements d’affectation fréquents des intéressés vers d’autres établissements en dehors d’une même direction régionale sur décision des services de l’administration centrale, afin « de perturber les auteurs des tentatives d’évasion et leurs complices dans la préparation et la réalisation de leurs projets » ; (...) qu’il est constant que M. Payet a fait l’objet de vingt-trois changements d’affectation, entre des maisons d’arrêt réparties sur l’ensemble du territoire national, depuis sa réincarcération le 9 mai 2003 ; que, par suite, l’ensemble de ces éléments révèle qu’une décision soumettant M. Payet à des rotations de sécurité a bien été prise ; qu’une telle décision, qui institue un régime de détention spécifique, ne constitue pas une mesure d’ordre intérieur mais une décision administrative susceptible de recours pour excès de pouvoir ; (...) »

79.  Par un arrêt du 29 février 2008, le Conseil d’Etat a annulé la note de service du ministre de la Justice, du 20 octobre 2003. Il a relevé que le ministre ne tenait d’aucune disposition législative ou réglementaire le pouvoir de créer un régime de détention spécifique caractérisé par des rotations régulières et systématiques des détenus considérés comme particulièrement dangereux.

80.  La Commission nationale consultative des droits de l’homme assure auprès du gouvernement français un rôle de conseil et de proposition notamment dans le domaine des droits de l’homme. Indépendante et d’une composition pluraliste, elle assiste le Premier ministre et les ministres intéressés de ses avis sur toutes les questions de portée générale relevant de son champ de compétence.

81.  Dans une étude intitulée « les droits de l’homme dans la prison », publiée en 2007, elle se prononce comme suit sur les « transferts multiples » :

« L’administration peut décider le transfert d’un détenu pour tout motif. Cette mesure intervient généralement pour le maintien de l’ordre et de la sécurité. La mesure peut également être prise pour assurer une meilleure répartition des détenus dans les établissements en période de surpopulation carcérale. Bien que ne constituant pas une sanction aux termes du Code de procédure pénale, le transfert est régulièrement utilisé à titre coercitif. En pratique, certains détenus considérés comme des perturbateurs font l’objet de transferts incessants. (...) La CNCDH estime que les transferts en cascade doivent être proscrits. Il convient de rappeler le caractère tout à fait exceptionnel du transfèrement imposé au détenu. »

III.  EXTRAITS DU RAPPORT DU COMITE EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS ET DÉGRADANTS (CPT)

82.  Dans son rapport de 2007, relatif à la visite en France effectuée du 27 septembre au 9 octobre 2006, le CPT relevait ce qui suit au sujet des rotations de sécurité :

« 167. Certains détenus considérés comme étant « les plus dangereux » dans les maisons d’arrêt visitées faisaient l’objet de « rotations de sécurité », exécutées sans préavis, apparemment sur la base d’une note confidentielle du Garde des Sceaux du 20 octobre 2003. Prises dans le but déclaré de prévenir des évasions, ces mesures n’étaient ni formalisées, ni communiquées aux prévenus concernés. Plusieurs détenus avec lesquels la délégation s’est entretenue se sont plaints de la fréquence élevée des changements d’établissements qui leur avaient été imposés et des conditions dans lesquelles se déroulaient ces longs transferts. Ces transferts compliquaient en outre considérablement le transport des détenus lorsque des extractions judiciaires vers un tribunal éloigné étaient programmées.

Le CPT est conscient qu’à certains moments et dans certaines situations particulières, des détenus peuvent être difficilement contrôlables et que leur transfert vers un autre établissement peut parfois s’avérer nécessaire. Toutefois, le transfert continuel d’un détenu d’un établissement vers un autre peut avoir des conséquences très néfastes sur son bien-être, ainsi que sur ses possibilités de réinsertion, et compliquer le maintien de contacts appropriés avec son avocat et sa famille. Dans son tout premier rapport sur la France relatif à la visite effectuée en 1991, le Comité avait déjà souligné ce point, en indiquant que dans le cas de transferts fréquents, les « conditions minimales pour l’existence d’un milieu de vie cohérent et suivi ne sont plus assurées. De plus, un détenu qui se trouve dans une telle situation aura de très sérieuses difficultés à maintenir des contacts appropriés avec sa famille, ses proches et son avocat. L’effet des transfèrements successifs sur un détenu pourrait, dans certaines circonstances, constituer un traitement inhumain et dégradant ».

Le Comité souhaite connaître les fondements juridiques, légaux ou réglementaires, de la note confidentielle du Garde des Sceaux en question, ainsi que le nombre de détenus faisant l’objet d’une telle mesure.

En outre, il recommande que le système des « rotations de sécurité » soit revu, à la lumière des commentaires formulés par le CPT à la suite de la visite effectuée en 1991, et toujours d’actualité au moment de la visite en 2006. Il serait notamment souhaitable que le détenu concerné soit informé au préalable de la mesure prise à son encontre et qu’il dispose de moyens de recours.

Enfin, le CPT recommande que l’article D. 296 du Code de procédure pénale, qui prévoit que le lieu de la nouvelle affectation doit rester secret, soit abrogé. »

83.  Quant aux fouilles de sécurité, le CPT précisait :

« 168. Les fouilles de sécurité, visant en général les différentes catégories de détenus soumis à un régime de détention spécial, étaient, dans nombre de cas, d’une fréquence excessive. A titre d’exemple, la délégation du CPT a rencontré à la Maison d’arrêt de Fresnes un détenu (placé à l’isolement) alléguant avoir été fouillé à corps à 14 reprises en un mois. Le CPT estime qu’une fréquence élevée de fouilles à corps - avec mise à nu systématique - d’un détenu comporte un risque élevé de traitement dégradant. Le CPT recommande aux autorités françaises de veiller à ce que les critères d’opportunité et de proportionnalité soient respectés et que les modalités des fouilles à corps, soient revues, dans le but d’assurer le respect de la dignité de la personne.

169. De plus, la délégation a reçu un très grand nombre de plaintes concernant les modalités dans lesquelles étaient effectuées les fouilles de cellules. Selon les Règles Pénitentiaires Européennes révisées, tout détenu doit pouvoir assister à la fouille de ses effets personnels (Règle 54.8). La législation en vigueur et la pratique suivie en France sont exactement opposées aux nouvelles Règles susmentionnées. Le CPT recommande aux autorités françaises de modifier la législation et la pratique existante à la lumière de la Règle 54.8 ci-dessus. »

84.   Enfin, au sujet des mises en isolement sur décision administrative, le CPT notait :

« 153. Les conditions matérielles de l’isolement n’avaient pas fondamentalement changé par rapport aux observations faites lors des visites précédentes. Dans les trois établissements visités, les détenus isolés restaient seuls en cellule et à la promenade, et leurs rares déplacements dans la prison se faisaient sous escorte de deux ou trois surveillants, lorsque la voie était libre d’autres détenus. En outre, à la Maison d’arrêt de Seysses, les détenus isolés devaient changer de cellule tous les mois, laquelle était souvent fouillée (parfois tous les trois ou quatre jours). De plus, ils n’avaient pas la possibilité d’accéder à la bibliothèque ou d’assister à un office religieux.

154. Les détenus à l’isolement ne bénéficiaient en outre ni d’activités collectives (lesquelles nécessitent une autorisation expresse du chef de l’établissement et ce, pour une activité spécifique), ni d’activités individuelles, ni, apparemment, de visites. Certes, les nouvelles dispositions prévoient que des activités en commun peuvent être organisées pour les détenus isolés, dans la mesure du possible et compte tenu de leur personnalité. Toutefois, en pratique, aucune activité quelle qu’elle soit (travail, sport, formation) n’était mise à disposition des détenus isolés dans les trois établissements visités, alors que la mise à disposition d’activités individuelles et collectives (si besoin est, au sein même du quartier d’isolement) et le maintien de contacts appropriés avaient fait l’objet de recommandations de longue date du CPT. De plus, l’absence de toute activité rémunérée signifiait pour la majorité des détenus concernés une absence de pécule, donc une impossibilité de cantiner, et une paupérisation croissante.

155. La durée maximale d’une mesure de placement à l’isolement sur décision administrative est, en principe, de trois mois. (...)

Les constatations de la délégation ont montré que dans plusieurs établissements visités, l’isolement est fréquemment une mesure de longue - voire très longue - durée. La majorité des détenus isolés rencontrés par la délégation y étaient placés depuis de nombreuses années.

156. Plus grave, la délégation du CPT a constaté lors de sa visite que sous certains aspects, la mesure de placement à l’isolement était détournée de son but originel, qui est de permettre à l’Administration Pénitentiaire de mettre en œuvre un régime d’isolement à des fins de protection ou de sécurité, que ce soit sur décision de l’Administration, ou à la demande du détenu.

Ainsi, les observations de la délégation ont montré que l’isolement était utilisé à l’encontre de détenus gravement perturbés ou présentant des affections psychiatriques graves, avec des symptômes méritant une prise en charge psychiatrique institutionnelle, et dont certains avaient même sollicité leur mise à l’isolement, dans l’absence de perspective thérapeutique dans d’autres secteurs de l’établissement et pour obtenir « un meilleur suivi médical ». Or, les constatations de cette même délégation ont clairement montré que l’isolement entraînait paradoxalement un appauvrissement de la qualité des soins prodigués par rapport à la détention ordinaire, en particulier à Fresnes et à Moulins-Yzeure.

(...)

157. S’agissant des garanties offertes au détenu placé à l’isolement, le CPT se félicite de l’opportunité offerte aux détenus isolés de recours (référé ou contentieux) et d’observations auprès du Juge de l’Application des Peines (JAP). Cependant, pour que ce recours soit efficace, surtout dans le contexte d’un isolement de longue durée, le détenu devrait, de l’avis du CPT, pouvoir engager un recours en référé sans devoir établir une urgence particulière (par exemple, la dégradation de son état de santé).

En outre, il est essentiel qu’un détenu soumis à une mesure d’isolement reçoive toutes les informations utiles sur ses droits (par exemple, le droit de bénéficier d’un conseil). Or, aucun des détenus placés à l’isolement avec lesquels les membres de la délégation se sont entretenus n’avait apparemment été correctement informé sur la procédure de placement à l’isolement ou sa cessation.

(...)

158. Tout en saluant les nouvelles dispositions qui tendent à mieux encadrer le régime de l’isolement sur décision administrative, et à la lumière des constatations faites en 2006 par sa délégation, le CPT ne peut que faire état de sa préoccupation quant au fait que le quartier d’isolement soit devenu le lieu de rejet de détenus difficiles à gérer, psychiquement atteints et pour certains, atteints de pathologies psychiatriques graves et chroniques, pour lesquels une prise en charge psychiatrique s’avère nécessaire. On y retrouve presque exclusivement des détenus particulièrement fragiles et perturbés, difficilement réintégrables dans la détention ordinaire, et cela dans un lieu où l’accès aux soins - notamment psychiatriques - est moins bon.

Selon le CPT, le quartier d’isolement n’est pas un lieu approprié pour gérer des détenus gravement perturbés. Les conditions de l’isolement sont d’ailleurs radicalement opposées à des conditions socio-thérapeutiques à visée de réintégration. L’équipement et l’espace confiné d’un quartier d’isolement ne sont absolument pas conçus pour ce type de détenus, mais bien pour des détenus devant faire l’objet de mesures de protection et de sécurité pendant de courtes durées. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 8 DE LA CONVENTION

85.  Le requérant allègue que ses transfèrements répétés, les prolongations successives de sa mise en isolement et les fouilles corporelles systématiques auxquelles il était soumis, dont la fouille intégrale subie le 30 juin 2004, constituent un traitement inhumain et dégradant. Il allègue une violation des articles 3 et 8 de la Convention qui se lisent ainsi :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 8

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

86.  La Cour rappelle que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, elle ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les Gouvernements. En vertu du principe jura novit curia, elle a, par exemple, étudié d’office plus d’un grief sous l’angle d’un article ou paragraphe que n’avaient pas invoqué les parties. Un grief se caractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (voir, mutatis mutandis, Guerra et autres c. Italie du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, p. 223, § 44, et Berktay c. Turquie, no 22493/93, § 167, 1er mars 2001).

87.  A la lumière de ces principes, la Cour considère nécessaire, dans les circonstances de l’espèce, d’examiner la présente affaire sous le seul angle de l’article 3.

A.  Sur la recevabilité

88.  La Cour constate que le grief tiré de l’article 3 n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Arguments des parties

a) Le requérant

89.  Le requérant souligne qu’en un peu plus de quatre ans, il a été transféré dans seize établissements différents et « trimbalé comme un objet ». Il prétend que du fait des transferts d’établissement en établissement et des changements de quartier de détention, préconisés par une circulaire confidentielle pour les détenus considérés comme dangereux, le requérant voyait son environnement social et géographique constamment bouleversé. De plus, étant DPS (détenu particulièrement signalé), les conditions dans lesquelles se déroulent les transferts étaient particulièrement pénibles. L’administration ne tenait aucun compte de sa situation familiale et des nécessités tenant à l’organisation de sa défense. En dépit du nombre incalculable de démarches accomplies par ses avocats et ses proches auprès de la direction de l’administration pénitentiaire, sa situation était demeurée inchangée. L’administration savait que la relation du requérant avec sa mère constituait son point faible et que les difficultés faites à celle-ci du fait de son éloignement géographique pouvaient contribuer à briser sa résistance.

90.  Le requérant soutient que les effets des transferts étaient accentués par la mesure d’isolement prolongée dont il avait fait l’objet. Il s’était vu imposer le régime d’isolement « renforcé », qui avait été fortement critiqué par la Commission nationale consultative des droits de l’homme dans son rapport du 11 mars 2004 (paragraphe 59 ci–dessus). Durant son séjour dans les quartiers d’isolement, il n’avait eu accès à aucune activité et n’avait eu aucun contact avec les autres détenus. La prolongation des mesures s’était faite en l’absence d’examen par un médecin psychiatre, en contravention avec les recommandations du Comité pour la prévention de la torture. De plus, le Comité consultatif national d’éthique, dans son avis no 94 relatif à la santé et la médecine en prison du 13 décembre 2006, a relevé que l’intervention des médecins dans les quartiers disciplinaires et d’isolement était emprunte d’une certaine ambiguïté (paragraphes 52–53 ci–dessus).

91.  L’administration pénitentiaire s’était essentiellement bornée à motiver ses décisions de mise à l’isolement ou de prolongation de la mesure par la tentative du requérant de faire évader son frère en mai 2001. Outre que, le plus souvent, l’administration s’était contentée de reproduire tous les trois mois des motifs stéréotypés, l’appréciation de la dangerosité du requérant, ainsi opérée, était incompatible avec les interruptions de la mesure entre décembre 2001 et novembre 2002, puis entre décembre 2004 et août 2005.

92.  Le requérant soutient que les fouilles corporelles à répétition qu’il a eues à subir, jusqu’à trois fois par semaine dans toutes les maisons d’arrêt à l’exception de celle de Rouen, étaient vécues à chaque fois comme une épreuve particulièrement humiliante. L’exposition au regard du surveillant, l’inspection anale qu’elles comportaient et les postures que le requérant était contraint d’adopter constituaient une forme de profanation de son corps, une mesure de dépersonnalisation en tant qu’elle le dépouillait de son intimité, avec pour comble la fouille intégrale du 30 juin 2004. Le requérant se réfère au rapport de la section française de l’Observatoire international des prisons de 2005 qui constate que les détenus inscrits au répertoire DPS sont particulièrement ciblés par les fouilles corporelles, et au constat de Comité pour la prévention de la torture, lors de sa dernière visite en France en 2007, selon lequel la fréquence élevée des fouilles intégrales comporte un risque élevé de traitements dégradants.

93.  Enfin, le requérant se plaint que la fouille avec inspection anale qu’il aurait subie le 30 juin 2004 constituait une véritable agression sexuelle. En le plaquant par terre et en écartant ses jambes, les surveillants lui ont aussi écarté les fesses car il n’aurait pas été possible autrement de vérifier s’il ne cachait rien dans le rectum. De plus, la fouille aurait été réalisée en présence de cinq agents, alors que la circulaire du 12 février 2004 prévoit que le nombre des fonctionnaires doit être limité au strict minimum et en principe à une personne. D’autre part, le requérant souligne que la plainte déposée le 5 novembre 2005 n’a donné lieu à aucune investigation de la part du parquet. Quant aux investigations effectuées dans le cadre de la plainte avec constitution de partie civile, elles ont été de pure forme et ne peuvent passer pour approfondies. Face aux explications évasives des surveillants, les gendarmes se sont abstenus d’insister et d’exiger des réponses précises, le juge d’instruction et la chambre d’accusation ont refusé de faire droit à la demande de confrontation formulée par le requérant et certaines pièces importantes (cahier d’observations du quartier disciplinaire, dossier de l’état–major de Sécurité de l’administration pénitentiaire) ne figuraient pas au dossier. Enfin, la condamnation du requérant à 1 000 euros d’amende avait pour objet de sanctionner la mise en cause des agissements des surveillants et, de manière générale, dissuader les détenus à porter plainte à leur encontre.

b) Le Gouvernement

94.  Le Gouvernement soutient que les changements d’affectation du requérant ont été décidés au cas par cas par l’administration pénitentiaire avec l’accord des magistrats concernés, chaque fois qu’un transfert est apparu nécessaire pour éviter que le requérant puisse organiser son évasion. Il souligne qu’en tout état de cause, le requérant a presque toujours été incarcéré en région parisienne où réside sa famille, de qui il reçoit des visites régulières.

95.  Le Gouvernement souligne que le placement à l’isolement du requérant a été décidé après qu’un téléphone portable eut été découvert dans sa cellule, ce qui constituait un signe de relations avec l’extérieur et donc manifestait un risque d’évasion violente. Par conséquent, les différents placements à l’isolement étaient parfaitement justifiés afin d’éviter, non seulement une évasion de sa part, mais également une mise en danger de l’établissement, des personnels et des autres détenus. Différents évènements depuis sa détention ont démontré qu’il était toujours en liaison avec des personnes, détenues ou non, liées au grand banditisme et capables de mobiliser à nouveau une logistique importante pour participer à une évasion à force armée ou avec explosifs.

96.  Se prévalant de l’arrêt Ramirez Sanchez c. France ([GC], no 59450/00, CEDH 2006-...), le Gouvernement soutient que les détenus qui sont placés en quartier d’isolement sont soumis au régime ordinaire de détention et font l’objet d’un examen médical, au moins deux fois par semaine. Ainsi, à l’occasion de diverses prolongations de mise à l’isolement, le requérant a été vu par un médecin. Les conséquences que les mesures d’isolement ont pu avoir sur son état de santé ont été prises en compte et entraîné un suivi médical et psychiatrique régulier, adapté à son état. Enfin, le Gouvernement relève que la durée de la mise à l’isolement du requérant était moitié moins longue que dans l’affaire Ramirez Sanchez précitée.

97.  Le Gouvernement soutient que compte tenu des faits que le requérant a commis et de son classement au registre des détenus particulièrement surveillés, les agents de l’administration pénitentiaire étaient tenus, pour des raisons de sécurité, de procéder régulièrement et rigoureusement à la fouille de celui-ci. Ces fouilles entraient parfaitement dans le champ d’application des dispositions réglementaires en vigueur et rien n’indique qu’il y ait été soumis de manière excessive ou particulièrement humiliante.

98.  Le Gouvernement conteste la version des faits fournie par le requérant concernant la fouille du 30 juin 2004. D’après le rapport rédigé par le directeur de la maison d’arrêt de Fleury–Merogis, le requérant a refusé de se soumettre à une fouille. Les surveillants ont dû employer la force strictement nécessaire pour le soumettre, contre sa volonté, à cette mesure indispensable, ainsi que le prévoit l’article D. 283-5 du code de procédure pénale. Cependant, à aucun moment, un gardien n’a volontairement touché ses fesses.

2.  Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

99.  L’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Il ne prévoit pas de restrictions, en quoi il contraste avec la majorité des clauses normatives de la Convention, et d’après l’article 15 § 2 il ne souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000-IV, et Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 95, CEDH 1999-V). La Convention interdit en termes absolus la torture et les peines et traitements inhumains ou dégradants indépendamment de la conduite de la personne concernée (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1855, § 79, V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 69, CEDH 1999-IX, et Ramirez Sanchez, précité, § 116).

100.  Pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge, de l’état de santé de la victime, etc. (Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, série A no 25, p. 65, § 162, et Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 67, CEDH 2006-IX).

101.  De plus, pour dire s’il y a eu ou non violation de l’article 3, la Cour se sert du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable ». Une telle preuve peut cependant résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Ramirez Sanchez, précité, § 117).

102.  Les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation. S’il s’agit là d’un état de fait inéluctable qui, en tant que tel et à lui seul n’emporte pas violation de l’article 3, cette disposition impose néanmoins à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne le soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate ; en outre, les mesures prises dans le cadre de la détention doivent être nécessaires pour parvenir au but légitime poursuivi (Frérot c. France, no 70204/01, 12 juin 2007, § 37),

103.  Certes, l’exclusion d’un détenu de la collectivité carcérale ne constitue pas en elle-même une forme de traitement inhumain. Dans de nombreux Etats parties à la Convention existent des régimes de plus grande sécurité à l’égard des détenus dangereux. Destinés à prévenir les risques d’évasion, d’agression ou la perturbation de la collectivité des détenus, ces régimes ont comme base la mise à l’écart de la communauté pénitentiaire accompagnée d’un renforcement des contrôles (Ramirez Sanchez, précité, § 138).

104.  Plus précisément, la Cour a déjà rappelé que les décisions de prolongation d’un isolement qui dure devraient être motivées de manière substantielle afin d’éviter tout risque d’arbitraire. Les décisions devraient ainsi permettre d’établir que les autorités ont procédé à un examen évolutif des circonstances, de la situation et de la conduite du détenu. Cette motivation devrait être, au fil du temps, de plus en plus approfondie et convaincante. Il conviendrait par ailleurs de ne recourir à cette mesure, qui représente une sorte « d’emprisonnement dans la prison », qu’exceptionnellement et avec beaucoup de précautions, comme cela a été précisé au point 53.1 des règles pénitentiaires adoptées par la Comité des Ministres le 11 janvier 2006. Un contrôle régulier de l’état de santé physique et psychique du détenu, permettant de s’assurer de sa compatibilité avec le maintien à l’isolement, devrait également être instauré (Ramirez Sanchez, précité, § 139).

105.  Par ailleurs, la Cour a précédemment jugé que si les fouilles à corps pouvaient parfois s’avérer nécessaires pour assurer la sécurité dans une prison, défendre l’ordre ou prévenir des infractions pénales, elles devaient être menées selon les modalités adéquates et devaient être justifiées. La Cour a estimé que, même isolée, une fouille corporelle pouvait s’analyser en un traitement dégradant eu égard à la manière dont elle était pratiquée, aux objectifs d’humiliation et d’avilissement qu’elle pouvait poursuivre et à son caractère injustifié (Valašinas c. Lituanie, no 44558/98, § 117, CEDH 2001-VIII  et Iwańczuk c. Pologne, no 25196/94, § 59, 15 novembre 2001). Dans l’affaire Van der Ven c. Pays-Bas (no 50901/99, CEDH 2003-II), la Cour a dit que la pratique de la fouille corporelle, même selon des modalités « normales », avait un effet dégradant et s’analysait en une violation de l’article 3 de la Convention dès lors qu’elle avait lieu chaque semaine, de manière systématique, routinière et sans justification précise tenant au comportement du requérant.

106.  La Cour a déjà eu à se prononcer sur le système français des fouilles corporelles pratiquées dans les établissements pénitentiaires, tel que prévu par l’article D. 275 du code de procédure pénale et la circulaire du 14 mars 1986. Dans l’arrêt Frérot c. France précité, elle a conclu que les modalités de ces fouilles n’étaient pas, d’un point de vue général, inhumaines ou dégradantes (ibid., §§ 40-41). Toutefois, compte tenu de la fréquence notable des fouilles intégrales subies par l’intéressé en l’espèce, dont un certain nombre d’inspections anales, et du fait que, de l’avis de la Cour, celle-ci ne reposaient pas sur un « impératif convaincant de sécurité » (arrêt Van der Ven précité, § 62), elle a conclu que les fouilles litigieuses s’analysaient en un traitement dégradant et qu’il y avait violation de l’article 3.

107.  Enfin, lorsqu’on évalue les conditions de détention, il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs ainsi que les allégations spécifiques du détenu (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001–II).

b) Application des principes en l’espèce

i. Les transfèrements

108.  La Cour note que du 27 août 2001, date d’incarcération du requérant, au mois de février 2008, le requérant a fait l’objet de quatorze transferts vers des établissements pénitentiaires différents, plus deux transits et une hospitalisation en hôpital pénitentiaire qui ont duré quelques jours. Elle relève que si certains de ces transferts étaient justifiés selon les autorités par le comportement du requérant envers le personnel pénitentiaire et la crainte de le voir passer à l’acte, ils semblent néanmoins s’inscrire dans le cadre de la mise en place d’un régime de rotation de sécurité anticipé à son égard, comme l’indique le directeur de la maison d’arrêt des Hauts-de Seine, dans son rapport du 22 décembre 2004. La Cour constate que selon la note de service adoptée le 20 octobre 2003 par le ministre de la Justice, le régime de rotation de sécurité institué pour les détenus les plus dangereux a pour but de perturber les auteurs des tentatives d’évasion et leurs complices dans la préparation et la réalisation de leurs projets. Il convient de rappeler, à cet égard, que cette note a été annulée par l’arrêt du Conseil d’Etat du 29 février 2008. La Cour estime cependant que la tentative avortée d’évasion à laquelle avait participé le requérant en mai 2001 ne saurait justifier, à elle seule, la soumission indéfinie à un régime strict de rotation de sécurité. En outre, elle observe que depuis 2004 le requérant n’a jamais fait l’objet de poursuites disciplinaires par l’autorité pénitentiaire pour un éventuel comportement agressif envers un membre du personnel.

109.  La Cour ne peut que souscrire aux conclusions du CPT qui, dans son rapport de 2007 concernant la France relevait que le transfert continuel d’un détenu d’un établissement vers un autre pouvait avoir des conséquences très néfastes sur son bien-être, sur ses possibilités de réinsertion, ainsi que compliquer le maintien de contacts appropriés avec son avocat et sa famille et indiquait que les conditions minimales pour l’existence d’un milieu de vie cohérent et suivi n’étaient plus assurées.

110.  La Cour considère que si le transfert d’un détenu vers un autre établissement peut s’avérer nécessaire pour assurer la sécurité dans une prison et empêcher tout risque d’évasion, il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, les quatorze transfèrements du requérant sur sept années de détention n’apparaissaient plus au fil du temps justifiés par de tels impératifs.

111.  De plus, elle estime qu’un nombre si élevé de transferts du requérant pendant son incarcération – les 27 août 2001, 20 décembre 2001, 4 juin 2002, 5 mai 2003, 8 novembre 2003, 13 février 2004, 12 mai 2004, 22 novembre 2004, 16 décembre 2004, 24 décembre 2004, 2 août 2005, 26 décembre 2005, 30 décembre 2005, 6 juin 2006, 19 mars 2007, 5 septembre 2007 et en avril 2008 – même s’ils ont eu lieu dans des prisons de la région parisienne – était de nature à créer chez lui un sentiment d’angoisse aigu quant à son adaptation dans les différents lieux de détention et la possibilité de continuer de recevoir les visites de sa famille et rendait quasi impossible la mise en place d’un suivi médical cohérent sur le plan psychologique.

112.  Vu ce qui précède, et à l’instar des conclusions du CPT dans son rapport de 2007, la Cour n’est pas convaincue qu’un juste équilibre ait été ménagé par les autorités pénitentiaires entre les impératifs de sécurité et l’exigence d’assurer au détenu des conditions humaines de détention.

ii. Le maintien à l’isolement

113.  Les griefs du requérant portent également sur les prolongations injustifiées et répétées de son maintien à l’isolement en dépit des constats des médecins selon lesquels sa santé était gravement endommagée de ce fait.

114.  La Cour note, en premier lieu, que les parties n’indiquent pas la même date comme point de départ de la mise à l’isolement du requérant : selon celui-ci, le point de départ se situerait le 27 août 2001 ; selon le Gouvernement, le 5 novembre 2002. Quoiqu’il en soit, cette mesure a été renouvelée jusqu’au 19 mars 2007, avec deux périodes d’interruption, à savoir de décembre 2001 à novembre 2002 et de décembre 2004 à août 2005, soit une période totale de quatre ans environ. Il convient aussi de noter que lorsque l’administration pénitentiaire a décidé de mettre fin à l’isolément, le requérant a lui-même demandé de bénéficier de ce régime le 19 mars 2007 afin de bénéficier d’un « semblant de tranquillité ».

115.  En deuxième lieu, la Cour relève que, d’après la circulaire d’application du décret du 21 mars 2006 modifiant le code de procédure pénale et relatif à l’isolement des détenus, la décision de mise à l’isolement doit être motivée. L’isolement ne constitue pas une mesure disciplinaire et la seule référence à l’appartenance au grand banditisme, ou à un risque d’évasion, non étayé, est insuffisante. De même, le classement d’un détenu au registre des détenus particulièrement signalés ou la commission d’une faute disciplinaire même grave ne peuvent justifier à eux seuls un placement à l’isolement. En cas de transfert suivi d’une nouvelle décision de placement à l’isolement, il convient notamment de rappeler dans la motivation en quoi le transfert n’a pas été suffisant pour assurer la sécurité des personnes ou l’établissement.

116.  Or, en l’espèce, les décisions de l’administration pénitentiaire renouvelant la mesure, des 5 mai, 28 juillet et 15 novembre 2003, invoquaient la participation du requérant à une tentative d’évasion par hélicoptère et l’usage d’armes à feu, commise en 2001, à quoi s’est ajouté, le 12 mai 2004, le comportement agressif et menaçant de celui-ci à l’encontre des personnels pénitentiaires et, le 6 août 2004, la logistique dont il pourrait disposer pour tenter une évasion. Les mêmes motifs ont été réitérés dans les autres décisions prolongeant la mesure, les faits commis par le requérant en 2001 paraissant toujours déterminants. Ainsi, dans le courrier du 9 septembre 2006 à l’état-major de la sécurité de la direction de l’administration pénitentiaire, le directeur de la maison d’arrêt de la Santé précisait que compte tenu des faits pour lesquels le requérant était détenu, son retour en détention classique paraissait peu probable. Pourtant, le 12 décembre 2004, l’administration pénitentiaire avait levé la mesure d’isolement.

117.  Le 15 mars 2007, le tribunal administratif de Paris a écarté ces motifs. Le tribunal a constaté que les informations dont l’administration disposerait quant à un projet d’évasion en préparation avec l’aide extérieure du réseau de banditisme auquel il appartiendrait, résultaient de dénonciations calomnieuses ou de renseignements imprécis dont le bien-fondé n’était pas établi. Il a relevé qu’à partir de la fin décembre 2004, le comportement du requérant n’était plus incompatible avec une condition ordinaire de détention et que la réalité des menaces proférées à l’égard d’un médecin et d’un surveillant n’avait pas été établie.

118.  Par conséquent, la Cour constate que, si les motifs avancés par l’administration pénitentiaire avaient pu être considérés comme pertinents au début de la détention du requérant, ils ont cessé de l’être à partir de décembre 2004.

119.  La Cour constate surtout que plusieurs de ces prolongations ont été ordonnées en dépit des diagnostics établis par les différents médecins qui suivaient l’état de santé du requérant tout au long de son incarcération. Ainsi, le 27 juillet 2004, le docteur K. a refusé d’attester de la compatibilité de la mesure avec l’état de santé de l’intéressé ; les 7 juin et 11 septembre 2006, le médecin de la prison a précisé qu’il était certain qu’un isolement ainsi prolongé ne pouvait qu’entraîner des signes de type paranoïaque et recommandait un examen psychiatrique afin de définir si le maintien en isolement était compatible avec les signes psychiatriques que présentait le requérant ; le 8 août 2006, le docteur P.A. a constaté que le requérant souffrait d’une pathologie invalidante de l’appareil musculo–squelettique qui était liée aux conditions de détention au quartier d’isolement. Il a préconisé un assouplissement du régime de détention. Deux certificats médicaux, des 21 décembre 2006 et 2 février 2007 ont fait état d’une souffrance psychologique résultant de sa condition de détenu isolé. Enfin, pour annuler la décision du ministre du 2 octobre 2006, le tribunal administratif de Paris s’est fondé, entre autres, sur la dégradation de l’état de santé du requérant, telle qu’établie par le certificat médical du 7 juin 2006.

120.  La Cour considère que l’administration pénitentiaire n’a pas tiré les conclusions adéquates suggérées par ces certificats médicaux qui se prononçaient de manière claire sur l’état de santé du requérant. Elle ne peut que relever à cet égard, que dans son rapport de 2007, le CPT critiquait la tendance de l’administration de faire du quartier d’isolement un lieu de rejet de détenus difficiles à gérer, psychiquement atteints et cela dans un espace où l’accès aux soins notamment psychiatriques, est moins bon.

121.  La Cour note, de surcroît, qu’une expérience sans mise à l’isolement du requérant, qui avait commencé le 16 décembre 2004 à l’occasion de son transfert à la maison d’arrêt de la Santé et s’était déroulée sans incident, n’a pu être poursuivie car la mesure a été réinstaurée à l’arrivée du requérant à la maison d’arrêt de Rouen, le 2 août 2005.

122.  A la lumière de ces considérations, la Cour estime qu’alors qu’il faisait déjà l’objet de mesures de transferts réitérés, la mise à l’isolement pour une si longue période, combinée avec la dégradation de l’état de santé psychologique et somatique du requérant, qui d’après les certificats médicaux serait imputable aux prolongations répétées de celle-ci, entre en ligne de compte pour apprécier si le seuil de gravité requis par l’article 3 a été atteint.

iii. Les fouilles corporelles

123.  S’agissant des fouilles corporelles, la Cour note que le requérant a été soumis, à différentes périodes de sa détention, au régime applicable à des détenus particulièrement signalés, notamment, comme il l’affirme lui-même, lors de ses séjours dans les établissements de Villepinte, Liancourt, Nanterre et des Yvelines. A Rouen, le requérant admet que les fouilles se limitaient à des palpations de sécurité, sans obligation de se dévêtir.

124.  Comme elle l’a constaté dans l’arrêt Frérot précité (§ 44), le code de procédure pénale n’indique pas dans quelles circonstances la fouille est intégrale ou est effectuée par palpation. La circulaire du 14 mars 1986 précise en revanche que des fouilles intégrales doivent systématiquement être effectuées à l’égard des détenus entrant et sortant de l’établissement, quelle que soit la raison de ce mouvement (y compris, par exemple, en cas d’hospitalisation ou consultation en milieu extérieur), à l’issue de la visite de toute personne (parents, amis, avocat) dès lors que l’entrevue s’est déroulée dans un parloir ne comportant pas de dispositif de séparation, et avant tout placement en cellule de punition ou d’isolement. La circulaire ajoute que des fouilles intégrales inopinées d’un ou plusieurs détenus peuvent être effectuées « toutes les fois que le chef d’établissement ou l’un de ses collaborateurs directs l’estiment nécessaire », « notamment (...) à l’occasion des mouvements en détention (promenades, ateliers, salles d’activités) » ; « elles concernent principalement, mais non exclusivement, les détenus particulièrement signalés (...) ».

125.  Dans ce même arrêt, la Cour a aussi constaté que, dans les maisons d’arrêt de Fresnes et de Fleury-Mérogis, les fouilles corporelles étaient particulièrement nombreuses et incluaient l’ordre d’ouvrir la bouche et « de se pencher et de tousser » (ibid. §§ 46-47). Or, M. Khider a aussi été incarcéré dans ces maisons d’arrêt, à trois reprises à Fleury–Mérogis et une fois à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes.

126.  Même si le requérant ne produit pas un décompte exact des fouilles intégrales et des fouilles effectuées par palpation qu’il a subies, la Cour estime, au regard des éléments du dossier, que les premières paraissent avoir été pratiquées de manière systématique. Il convient de relever à cet égard le nombre de transfèrements dont il a fait l’objet, la fréquence de ses placements à l’isolement et en cellule disciplinaire et le nombre de fois où il s’est rendu au parloir. Le Gouvernement ne conteste d’ailleurs pas les allégations du requérant quant au caractère systématique de cette mesure, compte tenu du classement du requérant au registre des DPS.

127.  A cet égard, la Cour rappelle que dans l’arrêt Frérot précité (§ 67), elle a considéré que des fouilles intégrales systématiques, non justifiées et non dictées par des impératifs de sécurité, pouvaient créer chez les détenus le sentiment d’être victimes de mesures arbitraires. Le sentiment d’arbitraire, celui d’infériorité et l’angoisse qui y sont souvent associés, et celui d’une profonde atteinte à la dignité que provoque l’obligation de se déshabiller devant autrui et de se soumettre à une inspection anale visuelle, caractérisent un degré d’humiliation dépassant celui, tolérable parce qu’inéluctable, que comporte inévitablement la fouille corporelle des détenus.

128.  La Cour attache beaucoup d’importance aux constats du CPT à ce sujet, qui dans son rapport de 2007 a relevé que les fouilles de sécurité étaient dans nombre de cas d’une fréquence excessive et a également estimé qu’une fréquence élevée de fouilles à corps – avec mise à nu systématique – d’un détenu comportait un risque élevé de traitement dégradant.

129.  Le caractère répété de ces fouilles, combiné avec le caractère strict des conditions de détention dont le requérant se plaint, ne paraissent pas être justifiées par un impératif convaincant de sécurité, de défense de l’ordre ou de prévention des infractions pénales et sont, de l’avis de la Cour, de nature à créer en lui le sentiment d’avoir été victime de mesures arbitraires.

130.  Selon la Cour, ces fouilles répétées, pratiquées sur un détenu qui présentait des signes d’instabilité psychiatrique et de souffrance psychologique, ont été de nature à accentuer son sentiment d’humiliation et d’avilissement à un degré tel qu’on peut les qualifier de traitement dégradant.

131.  En ce qui concerne la fouille du 30 juin 2004 et l’enquête y relative, la Cour note que les allégations des parties divergent radicalement sur ce point et qu’elle se trouve dans l’impossibilité matérielle de souscrire à l’une ou à l’autre des thèses en présence. Elle relève cependant que, lors de son audition par le juge d’instruction dans le cadre de sa plainte avec constitution de partie civile, le requérant a lui-même reconnu qu’il n’avait pas voulu se plier à la fouille préalable à son entrée dans le quartier disciplinaire. L’article D.283-5 du code de procédure pénale permet alors, en cas d’inertie physique à un ordre donné, l’usage de la force strictement nécessaire. Or, si le requérant a été immobilisé à terre et si ses jambes ont été écartées, rien n’indique qu’il a été victime d’une agression sexuelle. En outre, bien que le procureur ait classé sans suite la plainte du 5 novembre 2004 après avoir reçu les observations écrites du directeur de la maison d’arrêt et sans avoir entendu les protagonistes, la plainte avec constitution de partie civile, du 14 juin 2005, a été instruite. Tant le juge d’instruction que la chambre d’instruction, saisie en appel par le requérant, ont estimé par des décisions motivées et apparemment dépourvues d’arbitraire qu’il n’y avait pas lieu à suivre.

132.  Dans ces conditions, la Cour estime que rien ne permet de remettre en cause la motivation des juridictions internes quant au déroulement de la fouille du 30 juin 2004.

iv. Conclusion

133.  Selon la Cour, les conditions de détention du requérant, classé DPS dès le début de son incarcération, soumis à des transfèrements répétés d’établissements pénitentiaires, placé en régime d’isolement à long terme et faisant l’objet de fouilles corporelles intégrales régulières s’analysent, par leur effet combiné et répétitif, en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3. Il y a donc violation de cette disposition.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

134.  Le requérant se plaint de ne pas avoir disposé d’un recours effectif pour contester les mesures de transferts répétés, de prolongation de mise à l’isolement ainsi que les fouilles intégrales auxquelles il a été soumis. Il allègue une violation de l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A.  Sur la recevabilité

135.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Arguments des parties

136.  Concernant le placement à l’isolement, le requérant met en cause les conditions restrictives posées par le juge dans l’appréciation de la condition d’urgence à laquelle est subordonné l’octroi de la mesure de suspension sur le fondement de l’article L 521-1 du code de justice administrative. Les décisions rendues par le juge des référés dans le cas du requérant mettent en évidence les difficultés à saisir le juge en urgence s’agissant d’un isolement prolongé. En matière de transfèrements, l’accès au prétoire du juge administratif était complètement fermé jusqu’à l’arrêt du Conseil d’Etat du 14 décembre 2007, les juridictions administratives refusant d’admettre l’existence du régime des rotations de sécurité. Quant aux fouilles corporelles, il n’existe pas de voie de recours effective, comme le démontre l’ordonnance du 18 juin 2008 du tribunal administratif de Nantes.

137.  Le Gouvernement souligne que la recevabilité des recours contre les décisions de placement à l’isolement a été admise par la cour administrative d’appel de Paris, par un arrêt du 5 novembre 2002, confirmé le 30 juillet 2003 par le Conseil d’Etat. Dès son placement à l’isolement le 5 novembre 2002, le requérant disposait donc d’un recours effectif. En ce qui concerne les transferts, si le requérant avait pu démontrer l’existence d’un grief, c’est-à-dire une modification de ses conditions de détention du fait de ces transfèrements, ou bien encore une méconnaissance de ses droits fondamentaux, un recours contre ces décisions aurait été déclaré recevable par les juridictions administratives, compte tenu de l’arrêt du Conseil d’Etat en la matière du 23 février 2000. S’agissant des fouilles corporelles, le Gouvernement prétend qu’elles peuvent être contestées en justice et que le recours est effectif comme l’atteste le jugement du tribunal administratif de Limoges, du 14 décembre 2006, qui a condamné l’administration pénitentiaire pour avoir infligé à un détenu une fouille irrégulière et humiliante.

2.  Appréciation de la Cour

138.  La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés ; cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement. La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant ; toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit toujours être « effectif » en pratique comme en droit. L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (voir, parmi de nombreux autres, les arrêts Čonka c. Belgique du 5 février 2002, n51564/99, CEDH 2002-I, §§ 75-76, et Ramirez Sanchez précité, § 157-159).

139.  La Cour rappelle qu’elle a conclu que l’effet combiné des mesures telles que les transferts répétés, les placements à l’isolement et les fouilles corporelles dans le cas du requérant a entraîné la violation de l’article 3 de la Convention (paragraphe 127 ci-dessus). Les griefs de celui-ci constituent donc des « griefs défendables » au sens de l’article 13.

140.  En ce qui concerne les placements à l’isolement, la Cour rappelle que par un arrêt du 30 juillet 2003, le Conseil d’Etat a jugé que ces mesures étaient susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (paragraphe 56 ci-dessus). En l’espèce, le requérant a fait usage de cette possibilité et a aussi introduit de nombreux recours en référé. Si le juge de référé a rejeté ces derniers, en revanche, les 17 mars 2005 et 15 mars 2007, le tribunal administratif de Paris a annulé ces mesures. La Cour relève donc qu’en matière de mise à l’isolement, le requérant disposait d’un « recours effectif » au sens de l’article 13 de la Convention.

141.  Quant aux transfèrements répétés, la Cour rappelle que le 20 octobre 2003, le ministre de la Justice a adopté une note de service, intitulée « Note relative à la gestion des détenus les plus dangereux incarcérés dans les maisons d’arrêt », instituant un régime de rotation de sécurité.

142.  Le requérant a fourni plusieurs décisions de juridictions administratives déboutant des détenus qui avaient contesté leurs transferts en cascade ou jugeant que ces transferts constituaient des mesures d’ordre intérieur : jugement du tribunal administratif de Dijon du 3 juin 2003 (Salem Azaiza c. ministre de la Justice), ordonnance de référé du tribunal administratif de Toulouse du 10 avril 2006 (Alboréo), ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 25 mai 2007 (Pascal Payet).

143.  La Cour considère que l’efficacité du recours cité par le Gouvernement dans le cas des transfèrements du requérant pendant la période de son incarcération n’est pas établie. En effet, c’est par un arrêt du 14 décembre 2007 que le Conseil d’Etat a admis qu’une décision soumettant un détenu à un régime de sécurité ne constituait pas une mesure d’ordre intérieur mais une décision administrative susceptible de recours pour excès de pouvoir. De plus, ce n’est que le 29 février 2008 que le Conseil d’Etat a annulé la circulaire instituant le régime de sécurité.

144.  S’agissant des fouilles corporelles, la Cour note que le grief du requérant sous l’angle de l’article 13 concerne la fréquence des fouilles qu’il subissait. Le seul exemple jurisprudentiel cité par le Gouvernement est relatif à un placement fautif au quartier disciplinaire d’un détenu suite à une fouille intégrale en présence de codétenus que le tribunal administratif en 2006 a qualifié d’irrégulière et d’humiliante. En revanche, le requérant produit une ordonnance du président du tribunal administratif de Nantes, en date du 18 juin 2008, aux termes de laquelle la décision de fouiller un détenu prise sur le fondement de l’article D.275 du code de procédure pénale ne présentait pas le caractère d’une décision susceptible de recours. Il n’est donc pas établi qu’il existait en droit interne un recours pour contester la décision de procéder à une fouille corporelle. Quant au déroulement de la fouille intégrale du 30 juin 2004, il disposait d’un recours qu’il a du reste utilisé : la plainte avec constitution de partie civile pour agression sexuelle.

145.  La Cour en déduit que le requérant n’a pas disposé des « recours effectifs » pour faire valoir ses griefs tirés de l’article 3 de la Convention, à savoir les transfèrements répétés et les fouilles corporelles fréquentes. Il y a donc eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec cette disposition.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

146.  Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

1.  Dommage matériel

147.  Le requérant soutient que s’il avait été en détention normale – et non au quartier d’isolement – sans transferts incessants et sans être classé détenu particulièrement surveillé, il aurait pu demander à exercer une activité professionnelle en détention, prétendre à des réductions supplémentaires de peine et trouver un travail. Il réclame une somme de 59 820 euros (EUR) qui correspondrait à la somme qu’il aurait perçue en détention, s’il avait travaillé pendant sept ans (40 320 EUR), et au salaire qu’il aurait perçu (19 500 EUR) s’il avait été libéré sous condition et avait travaillé pour une société qui proposait de l’embaucher.

148.  Le Gouvernement souligne que l’impossibilité pour le requérant de travailler résultait non pas de la mise à l’isolement, mais de la qualification de détenu particulièrement signalé.

149.  La Cour considère que les allégations du requérant quant au travail qu’il aurait pu effectuer en détention, puis lors d’une libération conditionnelle, s’il avait obtenu des remises de peine, relèvent de la simple hypothèse. Elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et un quelconque dommage matériel dont le requérant aurait eu à souffrir. Il y a donc lieu de rejeter cet aspect de ses prétentions.

2.  Dommage moral

150.  Pour le préjudice moral, le requérant demande 20 000 EUR. Il souligne que malgré les alertes données par les médecins, l’administration pénitentiaire l’a maintenu pendant quatre ans et demi en quartier d’isolement. Celle-ci ne peut se réfugier derrière le fait que les médecins passaient le voir au quartier d’isolement plusieurs fois par semaine alors même que, souffrant de sa condition d’isolé, il n’avait pas besoin de voir un médecin souvent, mais seulement d’être réaffecté en détention normale. Son comportement a été dicté par celui des personnels pénitentiaires et par la pression exercée sur lui en toutes occasions. Les fouilles à corps fréquentes auxquelles il a été soumis ont été vécues comme un véritable supplice. Les transferts incessants l’ont souvent empêché de voir sa petite fille de trois ans.

151.  Le Gouvernement soutient que si la Cour devait constater une violation, ce constat serait suffisant aux fins de l’article 41 de la Convention.

152.  Les circonstances qui ont conduit la Cour à conclure en l’espèce à la violation des articles 3 et 13 de la Convention sont de nature à provoquer désespoir, angoisse et tension. Le requérant est donc en mesure de se prévaloir d’un préjudice moral justifiant l’octroi d’une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour lui alloue 12 000 EUR à ce titre.

B.  Frais et dépens

153.  Pour frais et dépens, le requérant réclame la somme de 10 000 EUR, dont 3 000 EUR pour les frais afférents aux quatre recours devant le tribunal administratif contestant les sanctions disciplinaires, 4 000 EUR pour les trois recours contre les décisions de prolongation d’isolement, 1 000 EUR pour la procédure relative à la plainte avec constitution de partie civile et, enfin, 2 000 EUR pour la procédure devant la Cour.

154.  Le Gouvernement souligne que le requérant non seulement ne soumet aucun justificatif des frais dont il réclame le remboursement, mais a bénéficié de l’assistance judiciaire, tant devant les juridictions internes que la Cour.

155.  La Cour rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], n31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).

156.  En l’occurrence, la Cour observe que les prétentions du requérant ne sont pas accompagnées des justificatifs nécessaires permettant de les calculer de manière précise. Il convient donc de rejeter la demande.

C.  Intérêts moratoires

157.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 3 et 13 de la Convention relatifs aux transfèrements, à la mise à l’isolement et aux fouilles corporelles du requérant et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en ce que le requérant n’a pas disposé des « recours effectifs » pour faire valoir ses griefs tirés de l’article 3 de la Convention, à savoir les transfèrements répétés et les fouilles corporelles fréquentes ;

4.  Dit

a)  que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 12 000 EUR (douze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juillet 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia Westerdiek Peer Lorenzen  
 Greffière Président


 

ARRÊT KHIDER c. FRANCE


 

ARRÊT KHIDER c. FRANCE